J'ai vécu...
Quelque part à Tsuchi no Kuni – Année 118.
« Il est temps mes fils. »
Au milieu des ruines fumantes d’un village, un homme se tient debout, le visage creusé par les rides, les cheveux blancs. Nul ne connait son identité, pas même les trois ombres qui jaillissent de leurs cachettes pour se réunir auprès de lui. Le mystérieux personnage porte son regard tour à tour sur chacune des silhouettes qui sont rassemblés devant lui. Shinzô, Reikon et Karata : trois soldats fidèles, trois shinobis de talents, trois parfaits jumeaux. Une flamme s’allume dans le regard du vieillard et un sourire se dessine sur ses lèvres. Ses créations ont enfin atteint la maturité suffisante, désormais il n’est plus nécessaire de garder leurs mémoires scellées. D’un geste de la main, il rompt le fuinjutsu et un flot de souvenirs se répand dans leurs esprits juvéniles.
« Voici la vérité que vous cherchiez tant à découvrir… »
Iwagakure no Sato – Huit ans plus tôt.
- Citation :
- La politique du Godaime Tsuchikage en matière de sécurité est une réussite. Mais c’est dans le secteur médical que les résultats sont les plus probants. La création imminente de l’Hôpital Principal d’Iwa dont la réputation a, en quelques mois seulement, traversée tout le pays jusqu’aux confins du continent, marque l’apogée d’une nouvelle ère : celle de la médecine moderne. C’est à cette même période qu’un étrange shinobi se présente à Ashiro Ryuka pour lui apporter son aide et son savoir scientifique. Sa proposition est tout d’abord rejetée et l’énergumène est rapidement mis en état de stase comme n’importe quel étranger. Mais bien vite, les ambitions du Tsuchikage se retrouvent limitées par la réalité de sa position : il ne peut être à la fois un chef militaire et un chercheur. De fait, il convoque ce prisonnier et lui propose de travailler sur un mystérieux projet qui servira à donner naissance à une nouvelle génération de ninja. Sans hésitations, l’étranger accepte de se livrer corps et âmes à cette expérience...
« Où suis-je ? »
« Sous la terre. »
Shinzô cligna des yeux et se redressa. Ce n’était pas sa voix qu’il venait d’entendre, pourtant il avait l’intime conviction que la sonorité était la même. En se frottant l’arrière du crâne il balaya la chambre du regard et constata que deux autres enfants se trouvaient dans des lits semblables aux siens juste à côté de lui. Celui qui avait posé la question était au centre et regardait avec curiosité l’adulte qui lui souriait avec bienveillance. Il tentait de se rappeler comment il était arrivé ici, mais aucun souvenir ne lui revenait à l’esprit. La mémoire de Karata était totalement vierge.
« Pourquoi tout est flou !? »
Le troisième garçon tâtonnait dans la semi-obscurité en cherchant effrayé quelque chose qu’il pourrait voir correctement. Mais rien n’y fit, Rékon était né myope.
« Ce n’est rien mon fils, tu as juste besoin de ça. »
Avec douceur, l’homme en blouse sortit des lunettes identiques aux siennes et les posa sur le nez de l’enfant. Aussitôt que la clarté se fit, il put poser les yeux sur lui et constata la similitude de ses traits avec ceux des autres jumeaux. Il comprenait à présent pourquoi cet homme l’appelait « fils ».
« Shinzô, Rékon et Karata. Vous êtes mes enfants, des êtres humains crée artificiellement à partir de mon ADN dans le but de créer une nouvelle race de ninjas… »
Les triplés ne réagirent pas, ils venaient de remarquer l’étrange marque que chacun portait à un endroit différent du corps. C’était un dessin bizarre, une sorte de tatouage qui ne ressemblait à rien de connu. Bien que venant tout juste de naître, il n’avait pas assez de souvenir pour trouver de quoi comparer.
« …cette journée est un peu spéciale car demain, vous aurez déjà tout oublié... »
Un vent de panique souffla sur le trio qui comprenait enfin la gravité de la situation. Si cet homme disait vrai alors leur mémoire serait effacé quand il aurait terminé son monologue. Il était certainement la cause de leur amnésie, ce qui signifiait que, même s’il prétendait être leur créateur, il était avant tout une menace pour eux. Les trois garçons tombèrent du lit en même temps et s’élancèrent vers leur geôlier comme un seul homme. Ensemble, ils pourraient certainement le neutraliser et s’échapper avant qu’il ne soit trop tard.
« …mais si cette expérience est une réussite, alors vous vous souviendrez le moment venu. »
Il suffit d’un seul mudra pour activer les sceaux sur le corps des trois gamins, libérant ainsi la technique de scellement mémoriel. Le choc les fit tomber dans l’inconscience immédiatement. Le sourire du scientifique avait totalement disparu. D’un geste de la main il replaça ses lunettes sur son nez avant de recoucher un à un chaque enfant. Le projet Trismegiste venait de commencer.
Quelque part à Tsuchi no Kuni – Année 118.
« ENFOIREEEE !! »
Karata saisit son katana à deux mains et tenta de faire un pas en avant pour décapiter le vieil homme. Il se figea brutalement, sans pouvoir bouger le moindre orteil. Son corps ne lui appartenait plus.
« Ce n’est pas un simple sceau pour effacer la mémoire Karata. Il y’a tout un tas d’autres fonction fort utiles que je peux activer d’un simple mudra. Comme la paralysie musculaire… ou la mort. »
S’ils avaient pu, les trois frères auraient serrer le poing en cœur tant la colère et la frustration bouillonnait à l’intérieur de leurs poitrines. Seul leur bouche était libre, Rékon se mordit la lèvre jusqu’au sang mais Shinzô décida de prendre la parole. Il voulait comprendre jusqu’où tout ceci les mènerait.
« Pourquoi… ? »
Son interlocuteur afficha un sourire à faire froid dans le dos. Il réajusta les lunettes sur ses yeux et pointa du doigt le jeune médecin. De toutes ses créations, il était celle qui lui ressemblait le plus. C’était par conséquent, son clone favori.
« Parce que je le peux. Parce que l’humanité est une expérience ratée et que vous êtes ma tentative pour la corriger. Parce que ce monde est plongé dans le chaos en l'absence d'un Dieu pour le diriger… alors j’en créerai un de toute pièce. »
Le délire du scientifique était à son comble lorsque les réminiscences d’un souvenir enfoui au plus profond de l’esprit de Shinzô remonta à la surface. Il se trouvait dans une cuve remplit de liquide et autour de lui… des dizaines de copies de lui-même.
« Qu… qu’est-il arrivé aux autres ?! »
Cette question sembla surprendre le vieillard. De toute évidence il ne s’attendait pas à ce que sa précieuse création en sache autant. Avait-il fait une erreur dans son conditionnement ? Non, il avait suivi le protocole à la lettre et avait mené l’expérience d’une main de maître. Par conséquent il n’y avait qu’une seule explication : Shinzô évoluait.
« Oui tu as vu juste… en réalité vous n’avez jamais été trois. »
Son rictus aliéné s’élargit un peu plus, il sentait le rire chatouiller sa gorge alors que l’atroce vérité remontait jusqu’à ses lèvres. Il n’avait pas prévu de parler de ce détail, mais puisque ce clone dépassait toutes les espérances, il se devait de le récompenser en faisant tomber le rideau sur le projet Trismegiste.
« Karata, tu es le numéro T34. Reikon le numéro N48… et toi Shinzô le G66. »
Le souvenir des multiples clones qui avaient chacun vécu une partie de leur vie et dont les mémoires se mêlaient aux leurs traversèrent leur esprit avec la violence d’une balle de fusil. Ils n’avaient pas simplement été créé artificiellement par un savant fou, ils avaient été élevés en batterie avec des dizaines d’autres clones qui auraient très bien pu être à leur place à cet instant. L’ampleur de ce qu’il venait d’apprendre les bouleversa à tel point que des larmes se mirent à couleur de leurs yeux sans même qu’ils ne le remarquent. En voyant cela, leur créateur se mit à rire à gorge déployée. C’était un ricanement sadique et infiniment douloureux à entendre. Mais Shinzô n’écoutait plus, son regard s’était fixé sur un cadavre à quelques mètres de lui. Le village qu’ils avaient attaqué un instant plus tôt… ce soi-disant repère de traître à la nation. Se pourrait-il que…
« Tu es vraiment plus évolué que les autres Shinzô… »
Avec nonchalance, le savant fou s’approcha du corps sans vie, le saisit par la tête et le souleva du sol pour le montrer à ses créations. De sa main libre, il effectua un mudra et l’apparence factice qu’il avait jusque-là disparue. Chacun des triplés reconnu son visage comme le sien, tout comme ils reconnaissaient celui de leurs frères depuis le premier jour. Karata ravala avec difficulté son envie de vomir tandis que Reikon se perforait la lèvre qu’il avait mordu jusqu’au sang. Une goutte carmin s’échappa de sa bouche et coula de son menton jusqu’au sol.
« Maintenant que tout est dit, je vous laisse choisir le plus digne d’entre vous pour me suivre. Les deux autres subiront le même sort que N33. »
Cette dernière réplique passa totalement inaperçu. Les pensées du trio étaient ailleurs, leurs yeux allaient d’un macchabée à l’autre, comptant machinalement le nombre de morts. Prenant conscience avec horreur du massacre qu’ils venaient de commettre… et de sa nature tragique. Dans l’esprit de Shinzô, quelque chose se brisa définitivement. Son regard se posa respectivement sur Karata, puis Reikon et ses frères lui répondirent en silence. Alors tel un seul homme, ils firent face à leur bourreau.
« Nous vivrons ensemble, ou nous mourrons ensemble. »
Cet instant fut si pur, si parfait, que le scientifique réalisa à quel point son expérience était une réussite. L’espace d’une seconde, il se surprit à penser qu’il pouvait exaucer leur vœu et les laisser vivre tous les trois. Puis il se rappela la raison même de son existence et soupira de déception. Tout ceci n’était qu’un immense gâchis.
« Ainsi soit-il. »
Il y eut un moment de latence. Le temps s’étira à l’infini et pendant cet étrange phénomène, les regards des trois hommes se croisèrent. L’amour qu’ils avaient les uns pour les autres se transmit ainsi, trois adieux silencieux qu’ils partagèrent dans le silence le plus total. Puis le vieillard fit un mudra et les corps de Reikon et Karata s’écroulèrent lourdement sur le sol. Shinzô se retrouva seul et tomba à genoux, visiblement libéré de sa paralysie, il faillit s’évanouir.
« Une dernière chose… »
Le visage plongé dans ses mains, il n’écoutait plus : son corps parcouru de tremblements, s’agitait au rythme de ses pleurs. Le monde entier avait disparu autour de lui, ne restait plus que le son de ses gémissements de douleur et les ténèbres de son esprit torturé.
« Mon nom est Shinzô. Et je suis le numéro G13. »
Avec un dernier mudra, le scientifique activa son ultime technique. Sa conscience fut transférée directement dans celle du clone et profita de la fragilité de sa psyché pour en prendre la place. Le corps de Shinzô cessa brutalement de s’agiter et ses bras tombèrent inerte le long de son corps. Pendant une longue minute, le shinobi ne bougea plus, jusqu’à ce que de nouvelles secousses s’emparent de son être. Un gloussement rauque mais inaudible gagna progressivement en intensité. Le garçon releva la tête brusquement et son visage se tordit dans une expression de délire malsain. Son rire éclata avec force, brisant la chappe de plomb silencieuse qui s’était abattu sur le village.
Le projet Trismegiste était un succès.
- Citation :
- En revenant seul de sa mission, Shinzô déclarera être tombé dans un piège tendu par des Nukenin dont il fut l'unique survivant. Nul ne retrouva jamais les cadavres de Rekon et Karata ainsi que des autres clones. Quelques jours après, le ninja médecin décida de quitter le village pour une durée indéterminée. Il prétendit avoir besoin de s'éloigner d'Iwagakure afin de faire son deuil. Un an plus tard, l'éminent scientifique revint parmi les siens, visiblement changé par son voyage. Sa personnalité, ses habitudes vestimentaires et ses connaissances en médecine avaient complètement changé. Bien que son corps soit resté le même, on eut l'impression d'avoir à faire à un homme totalement différent. Toutefois, le shinobi était réapparu au moment où le village caché avait grandement besoin d'un scientifique de son calibre, car une mystérieuse épidémie se répandait dans le monde entier...