Une famille brisée

Shinsaku était perdu dans ses rêves. Enfin c’est ce qu’il supposait ; à vrai dire il n’en était pas si sûr. Son esprit était devenu fatalement faible et perturbé ses dernières heures ce qu’il l’empêchait de dormir correctement. Son cerveau de génie n’arrivait plus à construire la moindre pensée cohérente. Il bougea dans son lit, assailli par des images floues qui lui donnaient des maux de tête insupportables. En vérité, il n’était pas totalement endormi, mais plutôt dans un état de demi sommeil ; réveillé mais inconscient de ce qui l’entoure et rêvant les yeux ouverts. Il lutta intérieurement pour aligner deux pensées cohérentes et ne parvint qu’à se demander s’il était encore en vie. Ses cordes vocales, bien qu’il ne leur en demanda rien, émirent un petit gémissement, semblable à un soupire de fatigue mais en plus aiguë. Il sentit soudainement des petits frottements rugueux sur le bout de son nez qui finirent de le réveiller complètement. Quand il ouvrit les yeux, il vit Shizu, à quelques millimètres de son visage, qui était en train d’agiter sa fine langue de serpent sous son nez dans l’espoir de le réveiller. Et le Nara se réveilla comme prévu. Il caressa doucement la tête de la vipère, heureux de retrouver ce contact mental des plus chaleureux. Puis il se releva péniblement, tel un vieillard qui a de l’arthrite. Il s’assit sur le rebord de son lit et se prit la tête dans les mains, fronçant les sourcils à cause du mal de tête qui persistaient. Il se sentait mal, encore écrasé sous le poids du chagrin. Ses yeux étaient lourds et sa vision brouillée. Sa lèvre lui faisait mal et il se rendit compte qu’il avait une grosse bosse sur le crâne qui était en partie la cause de son mal. Son réveil affichait presque cinq heures du matin. Il avait dormi longtemps, mais il était exténué.

Prenant son courage à deux mains, comme dans un ultime effort de guerrier, il sortit de sa chambre tel un zombie pour aller dans la salle de bain. Il jeta un bref regard vers le miroir pour constater qu’il avait bel et bien une mine affreuse, comme il le supposait. Il avait même du sang séché sur le menton. Sans s’arrêter, il continua jusqu’à la douche, se déshabilla et s’assit dans le coin, recroquevillé sur lui-même, à moitié au-dessous de l’arrivée d’eau. Il tourna le robinet et l’eau glacée coula bientôt, lui foutant le visage de ses fins traits translucides. Il resta ainsi plusieurs minutes, tremblant de froid, et pleurant le peu de larmes que son corps pouvait encore supporter. Il n’osait à peine penser à ce qui lui avait dit Kyûji, mais ce n’était pas le pire. Le pire c’est qu’il allait devoir en parler à Saya, et bientôt. Après cinq bonnes minutes d’inactivité physique, il se releva et se rinça complètement. Puis il sortit, prenant ses vieilles fringues dans ses bras. Il les ramena à sa chambre, tout nu, car il avait oublié de prendre des vêtements de rechange. Il balança les vieux dans un coin de sa chambre puis pris un simple caleçon dans son armoire qu‘il enfila de suite. Et il ne bougea plus, restant figé au milieu de sa chambre à observer les lueurs des étoiles lointaines par sa petite fenêtre. Des frissons le prirent, il avait froid. Il chercha un truc à se mettre et ne trouva qu’un Kimono gris clair. Il détestait les Kimonos, il était toujours mal à l’aise à l’intérieur, mais il s’en vêtit tout de même, écoutant son instinct de survie.

Shinsaku se rassit sur son lit et pris Shizu dans ses bras. La vipère n’avait cessé de tenter de le rassurer depuis qu’il s’était réveillé, mais aucun mot n’arrivait à l’atteindre suffisamment. Ils passèrent ainsi plus de quarante minutes à discuter mentalement. Puis le Nara se leva, gardant Shizu autour de son cou, et sortit, prenant la direction de la chambre de sa sœur.

La porte pivota sur ses gonds sans le moindre bruit. Et une ombre pénétra dans la chambre de la jeune fille. Shinsaku marcha délicatement, évitant les planches de parquet qu’il ne connaissait que trop bien pour le grincement qu’elles émettaient lorsque l’on posait le pied dessus. La pièce était étrangement bercée par la forte respiration du grand loup blanc qui dormait au pied de son lit et par celle de Saya, bien qu’elle semblait bien insignifiante à côté de celle de Kohaku. Toujours avec une discrétion parfaite, il s’assit parterre dans un coin de la chambre. Puis il observa. Il observa sa petite sœur. Il voulait la voir une dernière fois son visage vidé d’émotion, sans larme ni tristesse, il voulait la voir apaisée, insouciante, comme si elle aurait pu être heureuse. Il lui fallait voir ce spectacle… car il doutait de pouvoir y assister de nouveau dans un futur proche.

La veille, Saya avait décidé d’aller prendre l’air avec Kohaku. Elle adorait passer des journées entières dans la clairière où elle avait trouvé son compagnon.La jeune fille profitait de ses moments pour se détendre, méditer et éventuellement s’entraîner avec son loup blanc. Il lui semblait que leur relation lorsqu’ils se trouvaient dans cet endroit était plus forte que jamais. Comme si le fait de se trouver sur leur lieu de rencontre les faisaient évoluer ensemble de manière quasi parfaite. De plus, Saya était extremement tendue depuis les récents événements avec Kyûji. Elle ressentait un irrésistible besoin de calme et de solitude.
Elle partit peu après que le soleil se soit levé, en emportant des provisions pour la journée, ayant l’intention de ne rentrer qu’une fois la nuit tombée. 
La journée fut un enchantement. Le soleil baignant sa peau, le chant des oiseaux, le murmure d’un ruisseau non loin de là, apaisèrent ses angoisses et ses craintes habituelles. La clairière, couverte d’herbe tendre et de fleurs des près était un véritable ravissement pour qui la voyait. Quelques arbres, se dressant ici et là, fournissaient de l’ombre lorsque le soleil était trop fort.
Saya, détendue, expérimenta de nouveaux chants, basés essentiellement sur les gazouillis et les trilles des oiseaux qui l’entouraient. Kohaku, plus attentif que jamais, exécuta parfaitement les mouvements et déplacements que sa maîtresse lui demandait. Ils resterent dans leur havre de paix intime jusqu’au coucher de soleil puis prirent le chemin du retour au crépuscule. La fille aux yeux dorés affectionnait particulièrement ce moment. La douceur de la nuit épousait le jour finissant. Il en résultait une douceur de l’air telle que Saya crut sentir sur sa peau la douce caresse d’une étoffe de soie. 
Cependant, malgré ce moment idyllique, une angoisse l’étreignait. Une sensation qu’elle redoutait et qui était attachée à des souvenirs douloureux. Elle ne parvenait pas à se défaire de ce sentiment étouffant. Il lui semblait qu’elle suffoquanit, que l’air ne parvenait plus jusqu’à ses poumons. Prise de panique, elle appela Kohaku qui batifolait comme un louveteau dans les hautes herbes à la recherche de menues proies. Il sentit aussitôt l’inquiètude de son amie et s’empressa de la rejoindre. Saya sentit l’urgence monter en elle. Il lui fallait rentrer chez elle le plus vite possible ! Sans qu’elle sache véritablement pourquoi, elle sentait Shinsaku en grand danger. La jeune fille monta sur le dos de son loup qui détala aussi vite que ses forces le lui permettaient. 
Saya songea un instant à aller prévenir son père. Elle savait qu’il était chez un de ses amis en train de jouer au shogi. Ne voulant pas le déranger, la jeune Nara décida d’aller vérifier si son jumeau allait bien avant d’alerter Shikamaru inutilement. La fille aux yeux d’or espérait de tout son cœur qu’elle n’aurait pas à le déranger…
Arrivée chez elle, elle se précipita vers la chambre de son frère quand un bruit de pas la fit sursauter. Kyûji sortait de la chambre de Shinsaku. Elle se précipita dans sa chambre, ne voulant pas se trouver face à face avec le jeune Hyûga. Elle n’avait pas eu le temps de fermer sa porte lorsqu’il passa devant sa chambre. Ils se dévisagèrent une demi-seconde, puis voyant Kyûji prêt à parler, elle se barricada dans son antre et attendit derrière la porte que le jeune homme parte. Son cœur battait si fort d’inquiétude et d’angoisse qui lui sembla que ses côtes allaient se briser. Enfin, elle entendit les pas s’éloigner et quitter sa maison. Elle se dirigea vers la chambre de son jumeau et ouvrit la porte sans faire de bruit. 
Shinsaku était allongé sur son lit, tourné vers le mur. Elle n’apercevait que son dos mais cela lui suffisait. La respiration lente et profonde du jeune Nara la rassura. Saya contempla un instant le sommeil paisible de son frère chéri puis, rassurée, alla se coucher. 
La jeune fille s’endormit paisiblement, apaisée et sereine. Pour une fois son intuition s’était trompée et elle en était heureuse.


Un rayon de soleil matinal vint caresser la joue de Saya. La jeune Nara ouvrit les yeux et sentit qu'elle n'était pas seule dans la chambre. Elle se redressa et découvrit son frère assis dans un coin de la chambre entouré de Kohaku et Shizu. Saya rejoignit Shinsaku. Reprise par son angoisse de la veille, elle lui demanda d'une voix inquiète :

– Que se passe-t-il Shin ?

Shisaku était toujours assis dans le même coin de la pièce quand le soleil se leva. Il était parfaitement immobile, la tête tournée vers le sol, ignorant le dur contact du parquet sur son postérieur. Il entendit sa sœur se lever et venir s’asseoir près de lui, mais il ne réagit pas, préférant rester de marbre de peur que ses émotions l’emportent à nouveau.

– Que se passe-t-il Shin ?

Le moment qu’il redoutait tant était venu. Sa sœur était là, consciente de la tristesse de son frère, et elle attendait des réponses. Il fallait qu’il parle, mais les mots étaient trop lourds. Il regarda Saya un bref instant, les yeux vides. Puis il tendit les bras pour la saisir. Il la rapprocha de lui et la serra de toutes ses forces. Il s’excusait d’avance car il allait la faire pleurer. Il faillit verser une larme, mais il parvint à se retenir. Il se contenta de renifler bruyamment sa tristesse. Shinsaku prit la tête de sa sœur entre ses mains et approcha sa bouche de son oreille, préférant lui chuchoter la vérité pour lui donner moins de poids.

– Saya, j’ai quelque chose à te dire…

Il inspira un grand coup pour se donner courage, mais il sentait que sa sœur commençait déjà à s’inquiéter et cela ne lui facilita pas la tâche. Il essaya de l’apaiser un peu avant de commencer.

– Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles…

Il s’en voulut d’avoir dit ça. Qu’il pouvait être stupide parfois, surtout dans ce genre de situation. En parlant ainsi il inquiétait encore bien plus sa jumelle. Car s’il était dans un tel état et qu’il y avait aussi de bonnes nouvelles c’est que les mauvaises devaient être terribles. Se maudissant, il serra les dents, se remordant la lèvre qui avait gonflée depuis la veille.
Il l’étreignit encore plus fort, jusqu’à sentir le battement de son cœur contre le sien. Le Nara lança un bref coup d’œil autour de lui et remarqua que Kohaku était couché en boule à côté d’eux, assez près pour les caresser de son doux pelage. Shinsaku voyait bien dans les yeux du loup qu’il était aussi inquiet que sa maîtresse.
Le garçon ferma les yeux et parla.

– J’ai des nouvelles de Suna…

Saya se raidit en entendant le nom du village.

– Le nouveau Kazekage… il… il a fait des choses, des choses horribles. Gaara n’a pas abandonné son titre, il y a été contraint par la force. Et…

Shinsaku sentit sa sœur trembler, elle redoutait la suite.

– …Kankuro a été obligé de fuir le village après ce qui s’est passé pour échapper à Shunsuke, le tyran. Il est toujours porté disparu… Gaara, lui, a été directement attaqué, c’était la première cible de Shunsuke. Il a été vaincu… et il n’a pas survécu.

Il aurait bien aimé être sourd à ce moment-là, car les sanglots de sa sœur étaient tout bonnement insupportable pour le pauvre petit Nara. Il se concentra sur ses prochaines paroles, essayant de choisir soigneusement les mots. Cela lui permettait surtout de ne pas trop entendre les pleurs de Saya sans pour autant les lui faire ignorer. S’il y avait bien quelque chose qui faisait peur à Shinsaku en ce monde, c’était de voir sa sœur triste au point d’en pleurer. Il hésita un instant. Devait-il tout lui déballer rapidement comme l’avait fait Kyûji ou attendre qu’elle sèche ses larmes pour passer à la mauvaise nouvelle suivante. Finalement, Shinsaku préféra écourter la souffrance de sa sœur même si cela la rendait plus dure à supporter.

– Mais nous pouvons encore sauver Kankuro. J’ai pensé que nous pourrions peut-être partir à sa recherche.

Saya ne réagit pas, elle était trop triste pour se permettre des pensées optimistes.

– Désolé Saya mais… ce n’est pas tout. J’ai aussi des nouvelles de maman.

Cette fois elle releva la tête et se força à retenir ses larmes pour écouter les mots de son frère.

– Elle est en vie…

Shinsaku prononça cette phrase comme si Temari venait de ressusciter. Il espérait que cette nouvelle réchaufferait un peu le cœur de sa sœur. Mais il allait devoir lui parler de la face cachée de cette « survie ».

– …Mais… Elle ne va pas bien.

Il serra encore plus fort sa sœur contre lui, gardant les yeux fermés devant tant de peine.

– Je n’ai pas le cœur à te fournir des détails mais on m’a dit que le nouveau Kazekage la torturait… sans arrêt.

Shinsaku se referma sur lui-même. Il se perdit de sa propre volonté dans les méandres de ses pensées afin de demeurer étranger à toute chose réelle. Il n’osait même pas imaginer l’état de sa sœur. Il continua donc à parler sans même s’entendre.

– Je n’ai plus qu’une mauvaise nouvelle…

Il n’arrivait pas à le dire, mais il fallait qu’il lui dise. Il le savait mais malgré tout il lui fallut bien cinq minutes avant d’y arriver.

– Shunsuke a aussi… enfin… toute la famille de Gaara, notre tante et nos nièces aussi…

Il n’avait pas besoin d’en dire plus, les tremblements dédoublés de sa sœur en sanglot lui suffisait à deviner qu’elle avait parfaitement compris où il voulait en venir. Il laissa ainsi sa sœur se vider de son chagrin pendant près d’une demi-heure. Il respecta le triste silence durant tout ce temps et ne lâcha jamais prise sur Saya. Finalement, quand il sentit qu’elle n’arrivait plus à pleurer correctement, il lui prit la tête dans ses mains et la releva. Shinsaku posa son front sur celui de sa sœur, fixant intensément son œil unique (à cette distance on a l’impression que l’autre n’a qu’un seul œil).

– J’ai une dernière chose à te dire… Cela te fera plaisir… Cet après-midi nous irons dans un endroit où les murs n’ont pas d’oreilles et où personne ne peut nous épier. Et je te montrerai ce qu’ont donnés mes mois de recherche, je te montrerai comment sauver Maman !