Il s'appelait Ôgai

L'oiseau valait bien quelques secondes d'attention, son envol limpide et gracieux définissait visuellement les raisons de mon amour pour la nature. Un enfant passait dans l'allée, les roses donnaient au passage une senteur douce et délicate, chatouillant à peine nos narines. Il jouait avec son lance-pierre, seul. Il approcha, encore, encore. Son projectile vint échouer près de mes sandales. Le garçonnet eût ce mouvement peureux, étonné et même choqué, d'épaules. Lorsqu'il me vit, je devinai que je l'impressionnais. La réputation que je m'étais faite avait de quoi effrayer un enfant, le tueur de camarades se portait devant lui, assis sur un rocher. Calmement, je pris le petit bout de pierre entre mes doigts et lui tendis.

-Approche, n'aie pas peur.

C'est un geste désespéré que j'avais là. J'étais convaincu qu'il fuirait en courant, jambes au cou. Au lieu de ça, une mine détendu naquit sur sa facette ronde. Deux yeux ébahis me contemplaient encore un peu, ensuite, il prit le peu de courage qu'il lui fallait et fit un pas puis un autre. Sa chair contre la mienne, je lus en ses yeux la tristesse de l'enfant solitaire que j'avais tant connue. Le caillou passa d'une main à l'autre.

-Dis-moi, tu aimes les oiseaux ?

Le village de Konoha fit office de mère, ou de père selon les visions qu'on a des choses. Il assista à ma naissance, et m'entretint du mieux qu'il put. Comme toujours, on attache un sentiment spécial à une patrie lorsqu'on ne connaît rien d'autre qu'elle. Au delà de ça, la verdure et le cadre du village m'a toujours collé à la peau comme un sentiment indéfectible d'amour. J'appris avec lui à aimer la nature, la vie et la paix. Ces trois mots qui font ce que je suis devenu ont toujours gardé une place particulière dans mon existence.

Ensuite, la vie m'a ramené aux saletés du monde. Les autres enfants de mon âge me montraient à leur manière que j'étais différent, les notions de père et de mère n'avaient pas de sens dans mon jeune esprit. Alors je cherchais l'affection ailleurs, là où on pouvait la puiser. Mes professeurs m'ont toujours décris comme un bonhomme attachant, appliqué et ouvert d'esprit. Un être éclairé en somme, intelligent si l'on devait nommer ça ainsi. Les armes n'avaient après quelques temps plus grand secret pour moi, j'appris tôt à bander mes chevilles et mes poignets, à m'entrainer et à combattre ardument. Je rencontrais des gens, à l'extérieur et dans les contrées lointaines au village. J'appris pas mal, dame jalousie et son allié fidèle méchanceté vinrent me rencontrer.

Les jours de repos, je les passais près des fleurs et des arbres. Mon rocher, celui de Nagawa l'appelais-je, n'a jamais changé. Nagawa car c'est aussi ici qu'il y a dix ans de cela j'avais rencontré un Homme vieux et cassé, pourtant si brillant, beau dans sa fin de vie. Il respirait le calme surpuissant de la nature, je garde un souvenir clair et distinct de sa personnalité. Lorsque je pleurais, il séchait mes larmes sans même les toucher. Il assagissait mon coeur, tout juste en me laissant l'écouter. Il n'était pas fort, le vieux Nagawa, non, il n'était qu'une lumière de savoir et de philosophie. Ce que j'apprenais à l'école, je l'oubliais le temps d'un instant près de lui. Il m'inculqua l'art de la lecture entre les lignes, la rigide religion Shintoïste aussi. Amaterasu et Susanoo, Tsukuyomi ou Izanagi, chacun d'eux se délivra à moi au contact du vieil individu. Les histoires des Kami me passionnaient plus encore que les shurikens et les fers, ils me captivaient autant que les paroles éreintées et arrachées de la bouche de Nagawa. Il me trouvait chaque fois près du petit flot de rivière, assis sur ce rocher qui porte son nom à mes yeux.

Entre quelques livres et entrainements, j'allais voir jouer les autres, cela me donnait la vague impression de sentir ce que eux même ressentais. Vivre ces moments étaient un passe-temps à peu près normal pour un enfant si intéressé par les autres. Cependant, j'eus toujours grand mal à communiquer ce besoin, encore plus lorsque les ardeurs négatives se répercutaient sur moi. Très vite, je définis la notion de jalousie qui prend sa source dans la soif inconditionnel d'un Homme pour le pouvoir, le savoir, la réussite.

Ami des bêtes, j'entretiens une sorte de cliché. Celui de l'Homme seul à seul avec le monde qui l'environne, plein de recul et hypersensible, je n'aime pas tellement redéfinir ainsi une chose aussi complexe que ce qu'est l'existence. Souvent, je repars dans des pensées lointaines à propos de nous et de nos fondement, car le beau malheur de l'Homme c'est d'être doté d'une vie si belle qu'il ne parvient pas à maîtriser.

Entre toutes ces réflexions, il m'arriva un bon nombre de belle chose dans ma vie de shinobi. Une décennie de réussite certaine, d'ascension. Il m'arriva d'échouer en mission, bien sûr. Cependant, aucune ne fut totalement perdue et c'est ce qui fait la fierté de mes supérieurs. Mes équipiers et moi, nous n'avions pas vraiment d'attaches, simplement un respect mutuel primordial qui fait que nous sommes liés et que nous nous poussons au meilleur de nous même. Les sections supérieures me sonnèrent à treize ans.

Le sens des responsabilités entra dans mon langage. C'était une petite frustration, comprendre qu'on était réduit à des schémas visant à la réussite maximum ou partielle. On oublie le paramètre humain pour formater nos pensées, et on pourrait en crever, si on le fait, c'est pour la paix.

On vit dans l'excès comme si on allait jamais mourir, ramens et fêtes, sake et femme. Puis on crève, comme si on avait jamais vraiment vécu. C'est ce genre de petite pensée qui me tracasse continuellement. Les guerres et les batailles pour le sang, la mort. Peu de gens connaissent encore ça à Konoha et ailleurs dans le monde à notre époque. Les siècles de guerres passés, nous n'étions devenus que des gens qui s'entrainaient pour combattre un fléau potentiel. Sans même se demander si nous ne créions pas nous même le danger.

Je dois dire que j'en fis l’amère expérience lors de ma première année au sein des sections spéciales ANBU du village. Entré à quatorze ans dans celles-ci, je fis figure de précoce comme certains auparavant. Dans la lignée des formations lumineuses de Konoha, je m'inscrivais dans un modèle précis et concret de procédé. La victoire par tout les moyens possibles, même par abandon de ses compagnons. Nourri d'histoires du genre, je savais bien que c'était un scénario des pires possibles, laissé ou accélérer la déchéance allié pour protéger un secret, une donnée ou un pouvoir.

Un soir de combat, les genoux écorchés et la chair au vif. L'équipe entière poursuivi par une horde d'élite du village du son, ce soir je m'en souviens comme s'il s'agissait d'un rêve qui se répète chaque nuit sans arrêt. Les ordres étaient clairs, nous devions fuir en cas d'attaque. Cela faisait près de huit heures que nous tenions la traque, je ne peux rien laisser au hasard tant le désastre était grand. Le froid mordait mon visage, glaçait nos veines. Arrivé près du précipice, la cascade du destin et ses deux statues, il nous fallut continuer. Sans chakra, seul l'escalade descendante s'offrait. La voix du chef d'alors résonna dans ma tête, Nokedai Hyûga, le vif et intrépide de la section ANBU.

-Nous devons descendre par la force de nos bras ! Dans la cascade, nous pourrons nous échapper.

Lorsque tout le monde eut rejoint les bords, Nokedai voulut les retenir, c'est à son honneur qu'il le fit en effet. Tout le monde s'enfuit pendant qu'il tint les coups. Il prit le temps de se retourner, esseulé, ses yeux laiteux à travers les miens, sombres en revanche.

-Vas t'en, laisse-moi me sacrifier pour Konoha ! Tu représentes l'avenir de notre patrie !

Pour la première fois depuis ces huit heures époustouflantes, ces huit heures de calvaire, un tremblement prit mon corps tout entier, des jambes à la tête. Je compris que mon instinct naturel, fortifié par les heures d'entrainements et de leçons, avait prit la voie la plus difficile. Les byakugan qui passait au travers de mon regard ne devaient pas tomber au creux des pattes de nos assaillants. Alors les shurikens volèrent jusqu'à l'ennemi, j'envoyai tout ce qu'il me restait en fer à travers mes sceaux droit sur ceux-ci. Les détonations s'entremêlèrent aux cris de douleur des victimes. J'avais gagné le temps qu'il me fallait avant que la horde ne se complète enfin. Le corps gisant au sol à quelques distances de moi, c'était celui de Nokedai, son air blafard avait le don de déchirer mon être. Mes doigts s'appuyèrent jusqu'aux extrémités de ses yeux. Un cri étouffé par mon autre main mourut entre nous. Lorsqu'il comprit que je ne pourrai pas le sauver, il m'adressa d'ultimes paroles.

-Dis leur que j'aime Konoha et que je meurs en shinobi accompli. Quel fin tu m'as réservé, plein d'honneur. Le Hokage Sama doit recevoir mes yeux, jure moi seulement qu'il les aura dès ton retour.

Les larmes qui fuirent de mes pupilles clapotèrent droit à son faciale comme la pluie sur la pierre dure. Mouillé, il esquissa un sourire stupide juste en face de la mort. Mes dernières paroles allèrent dans son sens. Par obligation morale, je devais l'abattre et ne pas le laisser à la merci de tortures ou autres expériences. Un fer coula sa gorge dans un lac écarlate, il était décédé.

Lorsque je parvins aux chutes de la cascade, l'eau me parût aussi nauséabonde que le sang que je portais sur mes mains. Nous rentrâmes et, sans un seul mot, je rencontrai notre Hokage.

-Entrez.

Passé la porte, sale et le teint aussi désagréable à voir qu'à porter. La sueur sèche avait aussi un côté humide, collant, sous mes habits et mon armure égratignée comme jamais. Incliné face au chef de notre village, les genoux fléchis au sol, je m'écroulais en sanglot intérieurement. En réalité, rien de tout cela, droit devant celui-ci, je fis pâle figure et dis:

-J'ai empêché l'ennemi de recevoir le kekkei genkai du capitaine Nokedai. Comme il me l'a ordonné, je vous remets ceux-ci. Avec les honneurs, il est mort en shinobi dévoué à Konoha et nous a tous sauvé la vie.