Quatre ans, deux mois et vingt-sept jours.
Du sable. Partout du sable, brûlant, étouffant. Il s'insinuait dans ses vêtements et dans sa bouche, son nez, ses yeux. Elle pouvait même le sentir ramper dans les pores de sa peau pour mieux se frayer un chemin jusqu'au creux de son être.
Le sable était son véritable ennemi. Le sable lui en voulait, il cherchait à l'occire, tout comme ces visages blafards dans le camp d'en face. Mais elle craignait moins ces poupées dociles et leur maître violent que le sable. Car le sable n'avait pas de morale, le sable n'avait pas de pensée, le sable cherchait juste à écorcher tout ce qui rencontrait son chemin maudit.
Et elle ne voyait rien. Elle ne savait pas ou elle se trouvait. Elle ne pouvait pas bouger non plus, juste ressentir ces granulés démoniaques se frayer un chemin dans ses cheveux, sur sa peau, dans ses oreilles et brouiller le son qui leur parvenait. Elle avait toujours su que le sable abritait une force incommensurable ; Après tout il supportait la mer depuis la nuit des temps. On ne se méfiait jamais assez du sable.
Et sa tête lui faisait mal, si mal. Car elle pouvait entendre tout les cœurs battre dans une course effrénée, un chœur dissonant teinté de haine et de peur. Un crescendo qui lui donnait mal à la tête et le cœur au bord des lèvres.
Et dieu, elle n'avait aucune idée d’où elle se trouvait. Agrippée à sa canne comme un enfant aux jupes de sa mère, elle ne savait pas ou elle était. Les chœurs étaient si forts qu'elle pria, elle pria pendant des années – ou bien n'était-ce que des secondes ? - pour qu'ils s'arrêtent.
Mais rien n'aurait pu la préparer à l'horreur qui la saisit lorsqu'ils cessèrent.
Rien. Plus rien. Tous morts. Morts et dévorés par le sable, par la haine.
Dévorés par la guerre.
Elle hurla, pendant des heures et des heures, appelant tout ces noms qu'elle connaissait, hurlant pour qu'on lui rende ces battements de cœurs qui la tourmentait tant auparavant. Tout pour qu'ils reviennent et qu'ils remplacent ce silence pesant que seul le bruit du sable crissant comblait.
Et là, alors, les grains de sables se collaient tous à elle de plus belle, se frayant un chemin jusque dans son crane, chuchotant directement à son esprit.
« Ils sont morts, Rojira. Ils sont morts et ils ne reviendront pas. N'as-tu pas entendu ? Gin est mort, la guerre est perdue. Ils sont morts à cause de la haine, comme tout les autres, et comme toi, bientôt... »
Et alors, les grains de sable la frictionnaient de plus belle, tentant ainsi de lui arracher aussi bien sa chair, que les dernières parcelles de son esprit.
Elle ouvrit ses yeux d'un blanc laiteux, subitement. Mais cela s'avéra inutile, comme chaque fois ces quatre vingt-dix huit dernières années. Son corps maigre était couvert d'une sueur froide, contrastant avec la chaleur étouffante de sa cellule.
Lentement, elle tentât de calmer sa respiration hachurée. Elle se redressa sur son matelas piteux et soupira. Elle n'avait aucun moyen de savoir si elle était seule dans la pièce, mais au premier abord, elle ne ressentait aucune présence. Le seul son perturbant le silence était celui du vent qui soufflait par bourrasques, au dehors.
Elle laissa ses doigts fins courir le long du modeste sommier d'acier, pour ce qui lui semblait être la centième fois, au moins. Celui-ci était parsemé de légères traces d'impact, comme si de nombreuses personnes avaient ripé d'autres objets dessus. Probablement les précédents locataires qui, dans un accès de colère, avaient jeté leur fourchette sur le métal froid, dans une tentative désespérée de faire quelque chose. Même quelque chose d'inutile.
Elle comprenait ce besoin, elle le ressentait aussi. Dans les geôles de Suna, le temps était long. Il n'y avait rien à faire, ni personne pour écouter. Et si d'autres détenus pouvaient compter les fissures du plafonds pour passer le temps, Rojira n'avait même pas ce luxe. Elle avait atteins un niveau d'apathie seulement égalé par les papillons dans leur chrysalide. Et encore. Un papillon, ça vieillissait. Rojira ne faisait même pas ça.
Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres sèches.
Elle n'en avait pas encore fini avec ces cauchemars. Un frisson remonta le long de son échine en y repensant. Elle les haïssait. C'était toujours le même thème, comme si elle ne ressassait pas déjà la guerre bien assez lorsqu'elle était éveillée. Celle-ci venait la poursuivre même dans les limbes de l'inconscience, marquée au fer rouge dans sa mémoire.
Elle était déjà passée par là, pourtant. Ce n'était pas sa première grande guerre. Mais c'était probablement celle qui l'avait le plus marquée, celle qui lui avait porté le coup de grâce.
Elle se leva sur ses jambes chancelantes, sentant le sol ferme sous ses pieds nus. Ici, même les bâtiments étaient emplis de sable. Il s'infiltrait partout, absolument partout. Elle grimaça et secoua la tête. Elle ne voulait pas repenser à son rêve. Elle esquissa quelques pas, chacun de ses mouvements déclenchant une vive douleur dans ses jambes endolories.
Mais elle n'avait pas le choix, sinon elle allait faner, comme une fleur passée de date. Ses muscles ( enfin, le peu qui lui restait de muscles – allaient fondre et elle serait aussi faible qu'un nouveau né.
Bien qu'à son stade... Elle n'avait plus grand chose à perdre. En quatre ans, elle n'était que peu sortie de sa cellule.
La réalisation la frappa et elle senti ses jambes se dérober. Allongée sur le sol froid de sa prison, elle ferma les yeux et posa ses paumes contre ses paupières.
Quatre ans, déjà. Et encore combien d'années à venir ? Elle n'en avait aucune idée. Mourrait-elle dans cette prison ? Rien ni personne ne pouvait lui répondre.
Elle resta un long moment – peut-être des heures, elle n'en savait rien – allongée sur le sol, à ravaler des sanglots qui de toutes façons ne feraient aucun bruit. Sa voix s'était échappée de cet endroit depuis bien longtemps, elle, s'envolant par la fenêtre et par delà le village, rejoignant de plus beaux horizons.
Elle roula sur le coté, repliée sur elle-même. Qu'advenait-il d'Iwa ? Pas une journée ne se passait sans qu'elle ne se pose cette question. Mais elle avait demandé à Ceux-La, plusieurs fois, sans réponses. Elle Leur avait hurlé nombre de questions, après avoir renoncé à la politesse. Elle s'était dit que peut-être, si elle les forçait à réagir, ils lui répondraient.
Mais Ceux-La ne répondirent jamais, et le silence s'installa à ses cotés. Une fois et une seule, elle entendit les bribes d'une conversation, et elle appris ainsi qu'Iwa avait été annexé.
Mais rien de plus.
Elle en était venue à se demander si elle existait toujours. En ce lieu maudit il n'y avait rien à entendre, rien à voir, et rien à dire. Sans aucune preuve que le monde extérieur existait, comment pouvait-elle prétendre savoir ?
Mais chaque soir, le bruit d'une assiette que l'on glisse à travers la trappe lui rappelait qu'elle était toujours en vie. Et le goût – certes âpre – du pain et de la viande lui rappelait qu'elle existait toujours.
Et la douleur dans ses membres lui rappelait qu'elle n'avait pas encore accédé au repos éternel.
Elle finit par se relever, et se dirigea vers le mur contre lequel était cloué son lit de fortune. Elle se cogna le mollet contre celui-ci en passant, laissant un son étranglé s'échapper de ses lèvres. Elle avait frappé pile sur la cicatrice que lui avait laissé le sceptre de Hazuka Shiimata en la trainant sur plusieurs mètres.
La première blessure physique que la guerre lui avait infligé.
Ah, si seulement elle pouvait retourner en arrière et supplier Gin de ne pas partir à la guerre. Non pas que le Kazekage l'eut écoutée, mais elle aurait au moins pu tenter de ne pas foutre sa vie en l'air.
Elle souffla pour évacuer la douleur, et promena ses doigts sur le mur, tentant de retrouver ce qu'elle y avait gravé. En peu de temps elle atteignit l'objet de ses désirs, petits ronds gravés dans l'argile dur de sa cellule.
Un rond pour chaque jour, un trait vertical pour chaque mois, et une croix pour chaque année. Elle les avait creusés à partir d'un ressors trouvé sous le matelas. Et elle les avait organisés, en colonnes soignées. Après tout, ces marques étaient ses seuls repères temporels.
A chaque repas donné, elle dessinait un rond. Chaque trente ronds environs, elle dessinait un trait. Et chaque douze traits, elle creusait une croix.
Sur le mur à présent, elle pouvait sentir quatre croix, représentant les quatres années de survie en ce lieu.
Sous la quatrième croix, deux traits. Et sous le deuxième traits, vingt-sept cercles.
Elle soupira et posa son front contre le mur. Elle avait chaud, encore et toujours. Et ses mains tremblantes perdaient de leur vigueur.
Elle n'était qu'une vielle femme, et pourtant la vie continuait de s'acharner sur elle. Elle haussa les épaules, et se laissa glisser au sol. Si elle survivait à cet enfer, elle n'hésiterais plus jamais. Elle ne douterais plus jamais d'elle-même. Car il lui semblait presque impossible de passer cette épreuve.
Sa vie allait-elle se finir ainsi ? Rien n'était plus sur. Et pourtant, au lieu de se résigner, elle persévérait, encore, toujours. Après tout, si elle abandonnait maintenant et qu'elle s'en sortait, elle s'en voudrait.
Les heures avaient passé, les unes après les autres, et elle résidait dans cet espèce de torpeur, cet état de demi-sommeil.
Elle fut réveillée par le bruit des fondations autour d'elle s'écroulant, et par les voix paniquées au dehors. Le tumulte était brutal, si bien qu'elle n'entendait presque rien d'autre. Elle eu le réflexe -bien heureux- de s'écarter du mur, et dans un fracas qui la laissa pantelante quelques instants, celui-ci finit sa bien triste action.
Pour la première fois depuis quatre ans, Rojira put sentir le soleil se pâmer sur sa peau, et le vent venir la rafraîchir. Et autour d'elle, battre à l'unisson des dizaines de cœurs, aux diverses émotions.
La suite, elle lui est floue.
Elle se souvient du vacarme et des combats, et de tout ces cœurs qui battaient autour d'elle. Elle se souvient, comme dans un rêve, d'avoir volé ce qu'elle pouvait transporter et d'avoir tout empaqueté dans un balluchon improvisé.
Elle se souvient d'avoir trouvé une branche dont elle se servit comme canne, et de s'être enfuie loin, dans le sable brûlant du désert, désespérée et meurtrie, fuyant la populace comme la peste, s'évadant comme elle pouvait, distançant tout ces cœurs au fil de sa course.
Elle se souvient du sable, encore une fois, tout autour d'elle. De son incapacité à savoir ou elle se trouvait. Des maigres rations et du peu d'eau dont elle disposait. De l'oasis qu'elle trouva par hasard, au cours de sa route, et dans laquelle elle bu boire et se laver.
Elle se souvient des nombreux cœurs qu'elle entendit battre, un beau matin, après avoir marché au hasard dans le sable, toujours dans la même direction.
Elle se souvient des gentilles voix qui l'avaient recueilli, les premières qu'elle entendait distinctement depuis des mois et des mois. Il lui avait fallu du temps avant de pouvoir parler, mais on avait été patient avec elle. Elle se souvient de leurs noms, Kikyo et Shisui, et de leur amabilité.
Elle se souvient des rues d'Ame, dans lesquelles elle vagabonda pendant un certain temps, pour regagner ses forces. Elle apprit que l'opération qui lui permit de s'enfuir n'était autre que le sauvetage de la grande Temari, et qu'elle avait passé plus d'un mois dans le désert.
Elle se souvient de ses au revoir et de sa gratitude sincère. Mais pas de ses adieux, car elle promit de revenir un jour. Elle se souvient des mains de Kikyo dans les siennes, et du sac plein de leur nourriture qu'elle emporta avec elle.
Elle se souvient de son voyage, à la fois court et rapide, et de son impatience à l'idée de regagner Iwa. Elle s'était tenue au courant, du peu que Shisui savait de la situation de son pays. Elle avait glané toutes les informations possibles pour étancher sa soif de connaissances. Pour se rassurer, pour se dire que son pays n'avait pas sombré.
Elle se souvient de sa joie en reconnaissant sous ses pieds nus les pavés si caractéristiques d'Iwa. De son excitation quand elle avait couru dans les ruelles qu'elle connaissait par cœur, ignorant la douleur dans ses jambes.
Elle se souvient du bruit de la porte d'entrée, quand elle pénétra dans sa maison. De sa peine, lorsqu'elle toucha du bout des doigts un mémorial dressé en son nom. De la douleur quand elle réalisa qu'elle était présumée morte.
Et de sa solitude quand elle se souvint que personne ne l'attendait dans cette maison.