Encre marine

Haiko sortait de sa petite maison, laissant derrière lui sa femme et ses deux enfants. Tous les trois dormaient paisiblement, réchauffés par la paille qu'ils avaient installé l'automne dernier derrière les façades de leur logement. Malgré la fatigue, il portait un léger sourire sur ses lèvres abîmées par le froid. Les bords de mer et le sel avaient des effets néfastes sur son corps de pêcheur, il avait trente cinq ans mais en paraissait plutôt quarante cinq, cinquante. Ce sourire était le résultat de la condition de sa famille. Haiko était un brave marin, ce matin il s'en allait rejoindre l'équipage composé d'une dizaine d'amis et ensemble ils partiraient plus à l'ouest, sur les îlots du sud-ouest de l'archipel de Mizu. Cette pêche s'annonçait crucial pour la survie du petit village de pêcheur, les précédentes ayant été trop justes... L'estomac noué, Haiko pressa le pas et rejoint ses camarades. En chemin, il embrassa la statuette en bois qu'il portait autour de son cou, celle-ci représentait un Dieu Marin. On dit qu'il porte chance aux navigateurs.

Une fois rassemblés, les hommes se mirent en route en chantant. L'ambiance était très étrange à vraie dire, chacun tentait de se motiver comme il le pouvait mais tous savait, quelque part au fond d'eux même, qu'il se passerait quelque chose d'anormale. Il faisait chaud sur l'eau, ça aussi c'était étrange. La sueur se mêlait à leurs vêtements, elle était collante et l'air les étouffait un peu. Ramer était un effort considérable pour eux. Bientôt ils arrivèrent près des coraux tant espérés, c'était ici, d'après leurs calculs, qu'ils trouveraient une majorité de poissons. Alors ils détendirent les voiles et, avec beaucoup de savoir-faire, déployèrent un large filet près des rochers. Là, ils attendirent tandis que d'autres préparaient le repas du midi -ils étaient partis très tôt à six heures-. Des odeurs alléchantes enivrèrent les marins, on sentait l'espoir revenir dans leur cœur.

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En plein milieu du repas, le filet se raidit d'un coup! Tous se levèrent, c'était le signal! Ils imaginaient une nuée de poissons traverser près de leur bateau. Alors ils dégainèrent leurs harpons et leurs canne à pêche. Chose extraordinaire, tous sentirent leurs instruments se tendre au même moment avec ardeur. L'un d'eux s'écria alors:

-Ils sont enragés! Tenez bon nous avons à faire à des grosses prises, et elles sont nombreuses!

Alors que l'euphorie et la détermination étaient de mise, seul Haiko pensa à contre-courant du mouvement général. Il trouva cet événement louche, il avait peur au fond de lui même.

La lutte entre les hommes et les fonds marins dura une bonne dizaine de minute, certains commençaient même à fléchir face à la hargne des proies. Mais, tous à peu près au même moment, sentirent l'opposition lâcher prise. En l'espace de quelques instants ils n'eurent plus à forcer et les prises cessèrent de gesticuler. Des bulles clapotèrent à la surface puis un premier poisson remonta jusqu'à celle-ci. Un second, troisième... Bientôt plus d'une centaine de poissons, petits ou gros, se rejoignirent sur l'eau. Incrédules, les marins restèrent silencieux un instant. Puis un cri déchira le ciel, la joie était immense pour tous! Cette pêche miraculeuse représentait la survie de leur village, de leur mode de vie et de leurs idées!

On tira le filet et remonta les prises sur le bois du bateau.

Mais.

Une fois allongés sur le pont du navire, un étrange liquide très sombre marqua le sol. Le bois devint ébène. Il semblait s'échapper des poissons, Haiko poussa les siens et se fraya un chemin jusqu'à la prise. Tremblant et nerveux, il contempla le trésor empoisonné. Les poissons étaient très abîmées, leurs bronches explosés et les branchies embourbés de ce liquide obscur et intriguant.

-Haiko! Haiko! N'y touche pas, qu'est-ce que tu fais?!

Le pêcheur avait les yeux grand ouverts, ébahi face à ce spectacle nouveau pour chacun d'eux.