Dégustation en eau trouble

Murasaki, elle ne savait pas ce qu'elle faisait là. Son pas lourd avait descendu avec habitude les quelques marches la menant au bar Sanzaku. La menant toujours à la même place sous les lampes ne diffusant plus qu'une lumière jaunâtre. L'établissement était un lieu étrangement vieillot au sein de ce nouveau Konoha qui renaissait de ses cendres, et pour cause, il s'agissait là de l'un des rares lieux épargnés par l'attaque de Kiri. Sans doute que son enfoncement quasi-souterrain lui avait été profitable, mais il n'empêchait que la kunoichi ne parvenait jamais à trouver en quelle heure cet établissement désemplissait.

Assise vers le fond de la salle, en bout de comptoir, la kunoichi laissait ses doigts glisser sur le bois poli par les ans en attendant que le gérant lui portât sa bouteille de sake. N'était-ce pas pathétique de ne même plus avoir à parler pour que l'on vous servît ce que vous désiriez ? Murasaki saisit délicatement la bouteille et s'en versa un verre.

« Approche et je détruit ton semblant de jolie petite gueule, lança-t-elle à l'adresse d'un de ses voisins sur le point de tenter une approche à coup sûr maladroite envers elle. »

Par la même occasion, il aurait interrompu cette première gorgée si symbolique : celle qui vous brûlait la gorge et vous gonflait le cœur. C'était tout ce qu'elle cherchait. Alors, elle porta le liquide à ses lèvres, indolemment accoudée sur le bois doux, ses cheveux pour une fois lâchés chatouillant ses joues au fil de la dégustation.

Quand elle reposa le verre et leva la main pour se resservir avec la même élégance, elle avisa la place laissée libre à sa droite. Elle leva les yeux. Par précaution, l'importun s'était prudemment éloigné de la kunoichi bercée par ses démons. Cet état de fait arracha un sourire carnassier à la brune. Elle faisait peur maintenant ! Quelle petite chose minable pour se laisser ainsi influencer par quelque menace. Murasaki n'était à priori pas armée et sa tenue ne dévoilait pas le tatouage anbu faisant sa fierté. Elle portait presque négligemment un chemisier blanc à manches trois-quarts et un short bleu coupant à mi-cuisse ses jambes fines venant s'entortiller aux pieds du tabouret.

Rien ne criait son appartenance au monde shinobi, si ce n'était son maintient et son regard  faussement distrait. La jeune femme reprit une gorgé de son spiritueux, s'accordant sur cette tranquillité que le monde lui accordait entre deux cauchemars.

Cette nuit la, je m'ennuyais ferme. Perchée sur le toit d'un haut bâtiment, mes Byakugans activés, j'observais les habitants vaguer a leurs occupations nocturnes. Tel des fourmis, je les savais reconstruisant le village la journée, mais je préférais les observer la nuit. J'aime quand les gens se pensent a l'abris des regards. Leur comportement n'est pas le même. Ils ne se sentent pas obligé de porter ce masque qu'ils arborent pour se faire passer pour ce qu'ils ne sont pas.

Dans une ruelle, je reconnu une silhouette familière qui entrait dans un établissement vieillot. C'était un des rares bars qui n'avaient pas été détruit dans l'attaque de Kiri, en faisant le lieu préféré d'une bonne partie alcoolos du village. La priorité étant de reconstruire les habitations et les bâtiments importants, de nouveaux bars n'étaient pas prêt d'ouvrir avant un bon moment, pour le plus grand bonheur du patron.

Il ne me fallut pas longtemps pour rejoindre l'entré des lieux. Quelques marches descendaient vers une porte en bois, fermant l’accès au bar souterrain. Je poussais la porte d'accès d'un geste lent après avoir observé la salle de mes yeux blancs. Megumi avait pris place sur l'un des tabourets a l’extrémité du bar. En quelques pas silencieux, j'arrivais dans son dos avant de l'enlacer d'un bras, tout en posant mon menton dans le creux de son cou pour lui chuchoter quelques mots a l'oreille.

_ Mura-chan... C'est pas bien de ne pas partager. Le sake est toujours meilleur servi par une jolie fille.

De ma main libre, je resservi ma camarade avant de m’adresser au barman.

_ Et garçon ! Il va nous falloir un deuxième verre et plus de sake.

Relâchant mon étreinte, j'posais mon cul sur le tabouret libre a coté de l'ANBU. Un verre apparu vite devant moi alors que j'adressais a Murasaki l'un de mes plus charmant sourire.

Allons donc, Murasaki s'attendait plutôt à passer sa soirée en solitaire, sans autre dérangement que celui survenu plus tôt. Malheureusement, la Hyûga en avait décidé autrement. Elle était là, et il ne serait pas aisé de la faire disparaître maintenant qu'elle s'était installée.

Un soupir fit frissonner la surface de l'alcool. L'indifférence manifeste que Murasaki avait témoigné en sentant Megumi prendre place n'avait définitivement eu aucun effet et la demoiselle porta machinalement le verre à ses lèvres tandis qu'un autre tintait sur le bois.

« Je suppose que tu ne comptes pas prendre ta bouteille et voir ailleurs si j'y suis ? On se voit pourtant bien assez à l'Anbu, Megumi, entama la Namikaze avec son amabilité habituelle. Qu'est-ce que tu veux ?

Elle posa ses iris sombres sur les opales rieuses de son « amie ». Rien à faire, cette Hyûga et elle semblaient poussées l'une contre l'autre par des forces invisibles et cela avait le don d'agacer Murasaki. Ce fut donc d'un oeil sévère qu'elle jaugea Megumi en attendant sa réponse et plus durement encore qu'elle balaya la salle du regard, étudiant d'une brève analyse la faune globalement masculine les entourant.

Sanzaku n'était pas de ces lieux raffinés ou branchés dans lesquelles les jeunes femmes allaient normalement s'amuser quelques soirs. Au contraire, rare était la chair fraîche et la tenue pour le moins...ajourée de la Hyûga n'était pas pour alléger son sentiment ; elles étaient tels deux bonbons dans une classe d'aspirants et l'un des bonbons se montrerait bien cannibale envers l'autre si l'occasion se présentait, Murasaki était certaine de cette pensée en servant sa camarade.

- Il paraît que tu t'es faite remarquer sur le chantier nord ? demanda-t-elle d'un air presque malicieux. »

Il s'agissait là d'une rumeur entendue dans l'après midi ; un homme serait venu dans une colère noire insulter une des kunoichis réquisitionnées. L'empourpré avait été été éconduit par les travailleurs ne souhaitant pas être perturbés plus que cela, mais la scène avait fait le tour du village. Dingue ce que les ragots divers et variés pouvaient courir vite en ce moment. À croire que les villageois cherchaient à tout prix un moyen de ne pas penser au drame leur étant tombé sur le coin du bec quelques temps plus tôt. D'ordinaire, cela n'intéressait pas Murasaki et, à vrai dire, entendre les pseudo-raison d'un tel débordement lui avait fait lever les yeux au ciel. Mais certains détails avaient attiré son attention, ne désignant qu'une seule concernée possible, et taquiner la Hyûga épargnait pendant ce temps à la Namikaze de se justifier sur sa soûlerie en solitaire.

Lorsque le cul de mon verre heurta le bar pour la première fois de la soirée, je vis ma camarade faire une moue dépitée. Elle soupira avant de s'enfiler d'un trait le sake que je lui avais si aimablement servi. Apparemment, ma venue n'avait pas l'air de l'enchanter. Elle avait plutôt l'air de vouloir que je la laisse seule, mais ce n'était pas dans mes projets. Je me doutais qu'elle devait s’inquiéter a propos de la disparition de son frère. C'était sans doute la raison de son envie d'alcool , mais ce n'est jamais bon de boire seule !

_ Je suppose que tu ne comptes pas prendre ta bouteille et voir ailleurs si j'y suis ? On se voit pourtant bien assez à l'Anbu, Megumi. Qu'est-ce que tu veux ?

Je ris comme si elle venait de faire la blague de l'année.

_ Mura-chan, tu as vraiment un humour légendaire !

Au bout de quelques secondes de silence pesant, je pris un air triste avant de reprendre d'une voix tremblante.

_ C'est une manière d'accueillir sa tendre amie ? Puis que c'est comme ça...

Je me mis lentement sur mes pieds, saisissant mon verre au passage, avant de faire quelques pas vers le fond de la salle, un air profondément déçu sur le visage. D'un coup de hanche, je pivotais vers Murasaki avant de me rasseoir d'un petit bond sur mon tabouret dans un petit rire.

_ Nan j'plaisante ! T'as vu moi aussi j'sais faire des blagues !

_ Il paraît que tu t'es faite remarquer sur le chantier nord ?

Elle avait renchéri en ignorant totalement mes pitreries, et ce tout en me servant un verre dont le contenu n'y resta pas longtemps.

Plus tôt dans la journée, j'avais vu un des ouvriers aidant a la reconstruction du village tenter une approche vers une kunoichi bien trop jeune pour elle. Perchée sur un toits, flânant comme a mon habitude, je n'avais pu m’empêcher de mettre mon grain de sel au milieu en tirant quelques balles d'air aux pieds de l'homme. Je répondis a ma camarade en ricanant.

_ Moi les pervers, j'les fais danser !

D'un geste rapide et précis, je nous resservi a la hâte sans en renverser une goûte. On sentait l'expérience de la bouteille quoi ! Je fis tinter mon verre en trinquant contre le sien avant d’enchaîner un cul sec de plus.

_ Et toi ? De nouvelles aventures hilarantes a me raconter ?

Megumi lui avait donné un faux espoir en faisant mine de s'en aller ainsi, mais bon...on ne pouvait reprendre cette femme. De plus, il tardait à Murasaki d'en apprendre plus sur les rumeurs de cet après midi, mais le résumé plus que concis qu'en donna la Hyûga la fit franchement sourire et, même, presque rire. Ce fait se cacha dans le verre qu'elle vida, mais le tremblement de son dos la trahit fatalement.

Malgré leurs divergences de caractère, il était toujours aussi étrange à la jeune femme d'avoir trouvé quelqu'un aussi peu embarrassé par les conventions sociales qu'elle-même. L'alcool aidant, cela faisait remonter foule de souvenirs à la Namikaze qui se remémora ces heures d'apprentissage par cœur des expressions et us sociales qu'elle ne percevait pas petite. Un visage joyeux, une vérité, Murasaki ne comprenait pas cela plus jeune, ne faisant profiter de sa voix et de son avis que dans la limite du stricte nécessaire...et pourtant, il avait fallu attendre sa rencontre avec Megumi pour enfin communiquer normalement à ses yeux.

A l'époque, cela faisait sourire son jumeau. Lui qui n'avait jamais de soucis, ni pour se faire accepter, ni pour comprendre le monde ou sa sœur, avait parfois le don d'occulter ce handicap et de se moquer lourdement de l'attachement liant Murasaki à Megumi. Elle ne lui en avait jamais voulu. Tetsuya fédérait les cœurs et les hommes, traînant sa sœur dans son ombre sans que personne ne comprenne pourquoi. Mais aujourd'hui, Tetsuya n'était plus là et sa jumelle imposait par sa seule présence un certain malaise aux anciens moutons privés de leur leader.

Megumi s'en gaussait parfois lorsqu'elle les voyait fuir Murasaki ou suivre un nouveau berger. A vrai dire, elle avait raison de le faire même. Cela mettait en évidence la crevasse qui séparait les shinobis d'exceptions et le reste du panier. Bien que cela fut une vision schématique, elle était criante de sens pour l'Anbu qui voyait les moutons composer le gros des chuunins. Ils devenaient parfois des juunins sans grande envergure, mais ils demeuraient une manne utile de moindre mesure et aisément remplaçable aux yeux du village. Les bergers, quant à eux, n'étaient que des Hommes comme les Hokage ou Tetsuya ; charismatiques et doués avec ça, ils ne composaient pas même un centième du troupeau. Et entre les deux, venaient se greffer des ninjas comme Megumi et elle : les chiens de bergers. Incompréhensibles du commun des mortels, imprévisibles et paradoxalement obéissants, jaillissant de l'ombre des bergers pour se faire extension de leur volonté, que cela fut pour défendre, attaquer ou toute autre chose.

Le sake faisait parfois devenir étrangement philosophique, mais il n'effaçait pas la tristesse lui transperçant le cœur lorsqu'elle voyait l'image de son frère s'accrocher à son esprit. Tetsuya lui manquait et il n'était pas revenu à la date prévue. Megumi devait le savoir ça ! Elle aurait pu lui faire mal en le lui renvoyant à la figure et peut-être qu'elle l'aurait fait avec une autre, mais la Hyûga semblait taire le sujet et cette attention touchait la Namikaze.

« Rien d'hilarant. Je me suis levée à 7h, j'ai pris un thé, je me suis lavée les dents et j'ai été faire ma journée au chantier de l’hôpital, habillée, précisa-t-elle avec un regard appuyé pour prévenir une pique trop connue de son amie.

Oui, malgré son comportement et ce qu'elle pouvait en dire, Megumi était devenue son amie au fil du temps. Murasaki l'observa un moment d'ailleurs, réalisant que le bar et la Hyûga tanguaient quelque peu. Elle le savait pourtant qu'une bouteille de sake suffisait largement pour une soirée, mais un coup d’œil lui assura qu'elle avait bel et bien entamé la deuxième. La Namikaze plissa alors les yeux pour stabiliser sa vue sans grand succès et poursuivit sur sa lancée.

- Enfin, la journée n'est pas encore finie, on aura peut-être des surprises d'ici demain. D'ailleurs, patron ? Il est quelle heure ? apostropha la kunoichi en portant son attention sur l'homme d'âge mûr derrière le bar.

- L'heure de payer ou de recommander, répondit-il aimablement.

Après avoir contemplé le mur quelques instants, l'esprit quelque peu au ralentis sous les embruns alcoolisés, Murasaki se tourna trop vivement vers Megumi et faillit en tomber de son tabouret.

- Je commence à avoir faim, pas toi ? avança la kunoichi aussi subtilement qu'une gamine de dix ans. »