C'est quoi un ananas?

Le bâteau voguait tranquillement sur la mer. Le vent salé poussait les voiles en toiles blanches de l'embarquation qui emmenait l'équipage sur la côte du pays du feu. On travaillait fort à gauche et à droite pour qu'il tienne bon. On dira ce qu'on voudra, mais faire tenir un bâteau en mer relève quasiment plus du miracle que du talent. Ces hommes savaient naviguer. Le capitaine, l'air sévère, se tâtait la moustache en regarde ses hommes aller. Ils se criaient entre eux des ordres et des conseils. Tous les marins à bord avaient l'air extrêmement forts. Bâtis comme deux, ils ne laissaient pas leur place. Ils avaient les yeux noirs des hommes qui ont souffert et la démarche ampoulée de ceux qui ont passé leur vie en mer, pour, peut-être, oublier leur passé. 

Cela faisait deux jours qu'ils étaient partis. Partis d'un petit pays de la côte du sud, ils transportait un homme particulièrement dangereux. Assit tout à l'arrière du bâteau, il regardait le large sans dire un mot, d'un visage sans expression. Enchaîné aux mains et aux pieds, il ne pouvait pas bouger, et il ne le voulait pas de toute façon. Le capitaine se tournait parfois vers lui pour le surveiller. Tous savaient qu'il était dangereux, mais nul ne savait à quel point.

Des cheveux noirs de jaix, des yeux noirs comme au plus profond de la nuit, il n'avait pas dit un seul mot de  tout le trajet. Il se contentait de regarder au loin. 

- Tu ne le trouves pas bizarre, celui-là? D'habitude, quand on emmène les criminels au pays du feu, ils ont toujours peur, ils tentent de se sauver, mais lui ...


- Lui il est fou, c'est tout. Un autre de ces tarés des côtes je te dis. Il a l'expression aussi vide qu'un ananas.


- C'est quoi un ananas?


- C'est un petit fruit rouge des côtes du ..

D'un grand coup de fouet sur le bord du bateau, le capitaine ordonna le silence aux deux matelots qui ne travaillaient pas assez. Lui aussi, au fond, se demandait ce qui se tramait avec le petit bonhomme prisonnier embarqué dans leur embarcation. Il fit quelques pas vers le jeune homme. Celui-ci avait l'air d'avoir une vingtaine d'année, peut-être vingt-deux. Il se racla la gorge:

- Ici on ne joue pas avec moi, je t'avertis. Si tu tente quoi que ce soit, on te tireras par dessus bord et ça en sera finit de toi, tu es averti.

Le jeune homme se retourna lentement et regarda le capitaine dans les yeux. Celui-ci sentit une goutte d'eau lui tomber le long de la nuque. Ce n'était pas agréable, mais en tant que capitaine et mercenaire, en tant qu'homme robuste, il ne pouvait montrer quelconque faiblesse.

- Tu vas rester assis là et tu vas attendre qu'on soit sur les côtes du pays du feu. Si tu tentes de t'échapper, je ...

Il se ravisa, se rendant compte qu'il se répétait. Il lâche un juron et s'en retourna commander ses hommes sans remarquer le subtil, léger sourire sur le visage de Tsuku. Il n'allait certainement pas rien faire, ils l'emmenaient exactement là où il voulait aller.