Perdu dans la nature (Tani no Kuni)

Laisser libre cours à sa nature

P

erdu dans la nature, deux yeux rouges, dissimulés dans un épais buisson, observaient avec attention les taillis en face. Les orbes sanguines étaient fixes, à l'affût du moindre mouvement qui trahirait la présence d'une proie. Celle-ci ne tarda guère à se révéler, sous la forme d'un petit museau émergeant brusquement des broussailles. Humant l'air pendant prés d'une minute, à l'affût de la moindre odeur qui trahirait la présence d'un prédateur, la petite bête semblait très prudente. Une éternité sembla se passer alors que prédateur et proie attendaient.

Les rayons du soleil traversait les sapins, et aisément les figures frêles des arbres qui commençaient à peine à retrouver leurs parures de feuilles. Les rayons dorés immergeaient la forêt d'une lumière chaude clairsemée par l'ombrage des grands hêtres, des châtaigniers, des chênes et des grands sapins qui peuplaient l'endroit paisible, animé par les très nombreux chants des oiseaux. Il ne faisait pas particulièrement chaud, ni très froid. Mais la chaleur du soleil faisait grandement du bien et poussait les animaux à sortir, à terminer leur hibernation et leur torpeur peut-être plus tôt que les précédentes années.

Le museau reniflant du petit mammifère se figea soudainement, puis au bout trois ou quatre secondes, il détala, s'échappant à toute vitesse des broussailles dans lesquels il était caché, aussitôt suivi par les yeux rouges et la forme massive à laquelle ils appartenaient. Parcourant quelques mètres le plus rapidement qu'elle pouvait, la musaraigne finit par être saisie au cou par une main habile. Le prédateur était un humain aux allures animales, le corps frêle, et au visage glabre recouvert d'hématomes, de sang et de cicatrices. Il rompit la nuque de la petite bête, et planta ses canines aiguisées par les os déjà consommés, dans la chaire de la proie. D'un coup sec, il décharna le mammifère d'une partie de sa peau et de son pelage, commençant à le dépecer avec les dents et les mains, crachant à chaque fois.

Il se figea à son tour lorsque le grognement d'un ours retentit au loin. Il saisit la musaraigne par la queue, se redressa sur ses pieds, et s'évanouit dans la nature.

Une fois retourné là où il avait élu domicile, un renfoncement dans la pierre d'un énorme rocher, il continua son travail de dépeçage, usant cette fois-ci d'un silex qu'il avait oublié. Il observa longuement le corps inerte de la musaraigne afin de s'assurer de son état et s'il était consommable. Il  la déposa ensuite sur un parterre de feuilles, aux côtés de la dépouille d'un campagnol qu'il cuirait ce soir au feu de bois.

Impossible de savoir combien de temps cela faisait qu'il avait de telles pratiques. Il ne comptait pas les jours et tout ce qu'il savait était que l'hiver prenait fin et que donc le gibier se ferait moins rare, et les cachettes plus efficaces pour la chasse. Il était trop concentré à survivre, désormais. Tel était le mode de vie qu'il s'était lui-même imposé afin d'aiguiser sa perfection de son atout, ses yeux rouges, vifs et sagaces, désormais acclimatés à une vie sauvage, perçants et aux aguets.

Il ne savait pas où il était, ni dans quel pays. Cela faisait longtemps qu'il s'était échappé des contrées glacées, et depuis il avait beaucoup voyagé. Mais il s'évertuait à ne penser à rien, à ne pas réfléchir, et à simplement laisser libre cours à sa nature.