L'ascèse

Rang A

Il y avait en nos songes un sentiment étranger au réel, une vérité sifflante de bon sens qui nous confortait dans cet état amorphe qu’on se plaisait à épouser dans l’obscurité pour subséquemment se déchirer et divorcer à la lueur du matin. Une vérité aigre-douce, connue mais néanmoins perpétuellement incomprise : l’inutilité de l’existence. Une existence déjà bien trop pénible pour qu’elle soit aussi vécue avec acharnement. Et cet acharnement, la jeune femme le côtoyait déjà dans une pluralité infinie, dispersée dans un registre à peine varié tant les couleurs et les nuances semblaient transparaitre d’un même et unique reflet. Quand bien même elle se contorsionnait risiblement au rythme de ses échecs et des exigences qu’elle subissait absolument de son bon vouloir, d’un trop plein de lâcheté devenu dangereusement familier au point de pouvoir être surnommé par la grâce d’une affection infectieuse « instinct de survie », elle ne parvenait à s’en défaire. Le criminel ? Un inconscient embrassant une forme à la fois d’essence et de définition, capable d’un pire quant à lui informel, allant jusqu’abattre n’importe quel moi pour n’en laisser triomphants qu’un surmoi et un ça sur le sommet surplombant son chagrin.
Cette lutte répétée à travers la morosité et l’ordinaire d’un vécu paraissait comme à chaque fois parvenir à un terme transitoire et a fortiori provisoire. Abattue sur son lit d’hôpital depuis le retour de Kusa, sa faiblesse physique l’assiégeait et la condamnait à une sentence bien trop sévère pour celle qui avait tant à faire : le repos.

Toujours momifiée et continuellement fatiguée au point de se confondre d’heure en heure en un monstre aux allures de marmotte, ses quelques moments d’éveil se changeaient en crises de larmes et en hurlements perçants lorsqu’elle réalisait dans une instance de lucidité éphémère la récence de ses derniers actes. Son corps lui semblait difforme et son âme davantage encore. L’engrenage de ses vices toutefois trop engagé prédisait son attitude mais plus que tout lui sommait ses prochains agissements. Elle n’était plus qu’une marionnette vide de tout libre–arbitre, celui-ci même qui se manifestait de temps à autre pour la violenter avant de repartir comme si de rien était.

Cette scène possédait des airs de déjà vu. Dans le vaisseau iwajin, une condition semblable, des gestes identiques, mais une finalité différente. Agrippant son matériel d’écriture, ses souvenirs ne faisaient qu’un tour et tout paraissait limpide et intelligible : le culte et une possible alliance avec Iwa, la passivité des villageois et du dirigeant face à l’ennemi, le meurtre du garçon au bakuton au mépris d’une promesse, cette technologie certainement capable de créer un virus afin d’assujettir les autres villages… Le culte, une couverture ? La collaboration dans les laboratoires du pays de la roche, une ruse ?

« Maître Tsuchikage, je vous envoie mon compagnon afin de tenir comme convenu mon engagement de revenir au plus vite auprès de vous.
J’ai fraichement regagné Konoha, et les événements de Kusa me paraissent tellement proches qu’ils me semblent s’être déroulés il y a quelques instants à peine… Pour autant cela fait déjà quelques jours et encore un rien de nombre pour que l’on atteigne la semaine. Toutefois, vos mots n’ont pas terni dans mon esprit et votre souvenir semble vivace.

Ma lettre n’est qu’une invitation, à me rejoindre au pays des sources chaudes, anciennement nommé « le village qui a oublié la guerre ». Je pense qu’il convient parfaitement à nos deux états d’esprit respectifs. Le but de cette rencontre n’est aucunement politique… mais bel et bien personnel. Joignez simplement votre réponse à la sacoche ornant Tori, en me signifiant une date dans la mesure où vous souhaitez donner une suite favorable à ce papier.

Dans l’attente de vous revoir, respectueusement, Yura. »

La chaleur de ses quelques lettres créait un contraste horrifiant avec son auteur, qui dans une froideur édifiante terminait sa manœuvre machinalement. La faiblesse de l’anbu durant leur dernier entretien ne l’avait pas rendue sotte, et bien que tous ses talents semblaient accablés d’une panoplie de points faibles, un attribut demeurait immuable, inatteignable : sa connaissance des comportements humains… et sa propension à les reproduire avec exactitude. Son pigeon – qui n’en était toujours pas un, désormais envolé à travers la fenêtre, la descendante du clan Hayashi n’avait plus qu’à retourner à cet état larvaire qui qualifiait son séjour hospitalier, le regard aussi vide que le contenant des différents mélanges médicinaux qu’on lui faisait avaler, le teint toujours cadavérique, la jeune femme ne semblait plus.

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