Un semblant de fumée s’échappait de la petite battisse. Le silence radiait la pièce, nulle parole ne s'échappait, seulement le bruit incessant de la télévision égayait le tout. Le « Nyotaimori » n'était pas un bar très réputé dans l'ensemble, mais il satisfaisait bien des curieux.
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Que souhaitez-vous monsieur ? s'exclama un vieil homme trapu.
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Un demi-litre de Sake. Le vieillard, étonné, s’exécuta au plus vite et servi l'étranger en deux trois mouvements. Curieux, il s'avança vers son client.
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Qu'est ce qui vous amène dans le coin ? —
Montez le son du téléviseur s'il vous plaît, répliqua l'inconnu.
« Le village caché du sable vient tout juste de nommer son numéro onze par le vote démocratique ! Nous n'en savons pas plus pour le moment, mais restez branché ! ». Le mystérieux continua son silence de mort et but cul sec son alcool. Après une légère inspiration, il s'exclama :
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Qu'avez-vous fait de votre vie, monsieur ? —
J'ai trois merveilleux et splendides enfants, cela change tout vous savez... Je suis peu fier de mon travail mais l'amour de ma famille compte plus que tout.Un léger ricanement venait de retentir dans la pièce, le métèque se leva et quitta le bâtiment juste après avoir laissé le bien qu'il devait au serveur. Bouteille à la main, il avançait dans le brouillard, aveuglé par le vent froid de cette infâme nation qu'il détestait par-dessus tout. Un semblant de logis se dessinait au travers de la brume. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps avant d'atteindre sa destination. Faisant grincer le pas de la porte, le distinct enleva son couvert. Le temps l'avait atteint lui aussi.
Après sa disparition, Dorumo n'avait pas fait grand escient de son existence. Il travaillait en tant que charpentier et comme tout bon prolétaire, il tombait peu à peu dans le péché. Il avait une baraque hideuse, les meubles étaient usés comme s'ils venaient d'une autre époque, l'odeur nauséabonde de l'humidité imbibait l'air de ce bâtiment crasseux. L'ancienne ombre du vent grimpait l'escalier à vive allure et commença à retirer ses quelques pelures jusqu'à paraître totalement nu. Une parfaite inconnue était elle aussi à découvert. Le Sabaku ne mit que quelques secondes avant de la rejoindre sous la couette. Elle l'embrassait d’une façon perverse et savante : d’abord les lèvres serrées, frôlant à peine sa peau, ensuite du bout de sa langue pointant entre ses lèvres entrouvertes et, pour finir, à pleine bouche. Son souffle saccadé, la dure froideur de ses dents et la chaleur humide de sa langue se fondant en une tentation unique qui l’excitait au plus haut point. C’était une sensation diffuse, difficile à définir, mais lubriquement efficace pour lui. Elle se serra contre le déserteur comme l’autre moitié d’un sandwich et referma sa bouche avide sur son cou, Dorumo sentait sur sa poitrine la chaleur énervante de sa chair...
Peu après l'acte, le jeune homme se précipita dehors pour en griller une. L'alcool, la drogue, le sexe, tel était devenu le quotidien du garçon. Des nuages menaçants venaient d'envahir le ciel et contre toute attente, il se mit à neiger. Un frisson parcouru le corps de l'isolé, il repensa en cet instant à son maître, celle qui lui a tout appris. Désormais, il ne pouvait plus cacher ses sentiments. Il l'aimait. Dorumo était incontestablement tombé amoureux de la Reine des neiges. L'écart d'âge lui importait peu, c'était elle et personne d'autre. Yumi Esuki était tout ce qu'il désirait, mais depuis la terrible épidémie qui avait ravagé le Yuukan, il était sans nouvelle. Cette neige était peut-être un signe ? Rentrant dans son taudis le cœur en larme, les yeux du Sabaku se posèrent sur un cadre contenant une photo de lui et de son bien aimé cousin. L'héritier du clan Jishaku n'avait sans doute pas eu la chance de survivre à cette miséricorde ; il était fort, certes, mais plus que Dame Nature ? Certainement pas.
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Cela faisait longtemps, Dorumo.Il n'y avait aucun doute, cette voix appartenait à Yumi. L'ivrogne se retourna instantanément. Elle était là, devant lui, en chair et en os. Les yeux rayonnant de lumière, ses courbes étaient parfaites. Il s'avança d'un pas lent, caressa son doux visage et posa ses lèvres sur les siennes... juste avant de se faire repousser.
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Monsieur ? Cela fera 250 ryōs s'il vous plaît. Elle avait disparu. À la place, une pauvre fille d'ouvrier, voulant arrondir ses fins de mois. Dorumo était pris au dépourvu, le bonheur qui radiait sur son visage avait totalement disparu. Cette vie n'était définitivement pas faite pour lui. Il remonta au premier pour rassembler quelques affaires et tomba sur son ancien bandeau par pur hasard. Il décida de l'abandonner pour toujours. La garçon se dirigea vers la porte de sortie et jeta une petite bourse à la courtisane. Maintenant en recherche de son seul et unique amour, rien ne pouvait l'arrêter.