Je commençais à m’habituer au battement d’ailes périodique de ma bête mythique sculptée dans la glace noire. Je n’en étais plus à mon premier trajet, cependant les voyages affectés par la maladie étaient les plus longs… Je n’avais pas particulièrement le mal des transports en temps normal. Mais qu’est-ce que désignait un «temps normal», après tout ? Ma vie avait-elle seulement été un jour normale ? Je me décidai à pousser la rhétorique à l’oral pour tuer ce long silence… je n’étais plus vraiment habituée à errer seule.
- Tu trouves que je suis normale, phoenix ?
Il fit retentir un gloussement sonore toujours empreint d’un côté majestueux, comme chacune de ses interventions.
- Je te trouverai peut-être normale quand tu m’auras donné un nom, humaine.
Un nom ? Je n’avais jamais eu le temps de réfléchir à cela. Décidément, n’importe laquelle de ces hystériques en puissance aurait déjà donné un sobriquet mignon à leur animal de compagnie. Moi, je me contentais d’exploiter sa fidélité, exprimant mes ordres avec ingratitude. À sa manière inconstante de se mouvoir depuis mes quelques mots, je compris qu’il avait été surpris de m’entendre lui tenir la conversation. J’essayai de me montrer de plus en plus surprenante en le targuant d’éloges.
- Tu ne recules devant rien, tu vas même à l’encontre de mes consignes quand tu sais qu’elles seraient dangereuses pour moi… Je dirais que tu es quelqu’un d’intrépide. Et après tout, Gesenai a le droit à son cognomen. Alors je t’appellerai Futeki.
S’il n’avait pas été aussi noir que la nuit, j’aurais juré qu’il s’était empourpré.
- Eh bien… Merci, Yumi. D’abord cette glace de couleur bleue, ensuite ces discussions futiles, maintenant ce nom… Es-tu sûre d’être dans ton assiette ?
- Tu crois qu’elle y est pour quelque chose, hein ? repris-je d’un ton agacé. Futeki connaissait bien Yumi, c’était la première création issue de notre pupille. Je te l’ai déjà dit : elle a disparu. Niet. A jamais.
Mon refus de l’entendre était catégorique, pourtant il revint à la charge tout en continuant de planer bien au-dessus des arbres du pays du feu.
- Je vais rendre honneur au nom que tu m’as donné, et je vais confronter mon avis au tien une nouvelle fois : je pense qu’elle est là, quelque part…
- OÙ ÇA !? DANS LE COSMOS ? rétorquai-je en haussant clairement le ton, énervée par sa perspicacité.
- Tais-toi.
- JE TE DEMANDE PAR-
- Tais-toi, je t’ai dit. reprit-il plus bas, sans changer de trajectoire ni de cadence. J’ai eu quelques doutes, alors j’ai laissé un de mes yeux à mon arrière-train, mais c’est maintenant sûr : nous sommes suivis. Une sorte de machine volante, qui se cache dans les arbres en contrebas.
- Il n’y a qu’Iwa pour posséder ce genre de technologie. Je parie donc sur ce Kyrua… Enfin, c’est certainement Ashiro. dis-je en soupirant, comme s’il s’agissait d’une formalité. Je posai mes mains sur ma monture et celles-ci se fondirent dans la glace, me permettant d’y adhérer complètement. Maintenant.
À mon signal, Futeki partit en vrille, un véritable looping qu’il prolongea par un piqué en direction de l’appareil à qui nous souhaitions fausser compagnie. Surprise par ce mouvement irrégulier alors que rien ne témoignait nos soupçons depuis le début du voyage, la navette ne changea pas sa trajectoire, ce qui nous permit de passer derrière elle.
- QUI SUIT QUI, MAINTENANT, SALE CRAPAUD ÉLECTRIQUE !?
Nous constatâmes que le feu caché dans des sortes de canons qui la propulsaient à l’arrière s’intensifia soudainement. Souhaitait-il nous semer ? Il ne savait pas à qui il avait affaire… De son propre gré, ou plutôt comme si nos volontés étaient aussi reliées que nos corps en ce moment précis, Futeki cracha un souffle glacé qui atteignit un des réacteurs. Déstabilisée par le choc, la mouche Iwajin oscilla en un angle droit, un dérapage qui lui valut de finir sa course dans un arbre solide de Hi no kuni. L’accident provoqua une intense explosion, presque aussi intense que celles émises par mon chevalier Narahima. Si une âme vivait dans ce coin perdu, elle l’aurait probablement entendu. Peu importe : si ce robot des enfers avait un conducteur, il ne devait plus respirer à l’heure qu’il est. Bien fait pour lui… Mon phoenix faisait du surplace au-dessus de la forêt embrasée. Décidément, je laissais souvent ces pauvres arbres dans ce sale état.
- Ça t’apprendra à me filer de trop près, sensei… Reprenons la route, Futeki. Il ne nous reste plus que quelques heures de vol avant d’atteindre l’île-tortue.
Accueil
