J'ai vécu...
Au fond d’une taverne, avachi sur son siège un verre de sake à la main, un jeune ivrogne regarde d’un air mauvais les clients du harem Bonzo. Ce harem se situe au coeur du pays de l’herbe, caché des autorités et où règne la débauche et l’argent comme seuls normes.
Ici les bagarres sont fréquentes et la tromperie est une coutume, c’est un lieu où se retrouvent la plupart des infréquentables du Yuukan. Des violeurs, meurtriers et autres fripouilles notoires défilent quotidiennement au sein du harem Bonzo. Le calme plat de Kusa est pour eux la cachette parfaite.
Finalement l’un d’eux s’approche du jeune ivrogne qui le toisait du regard depuis quelques minutes maintenant. Une jeune fille apparaît alors d’entre ses cuisses, elle était comme cachée sous la table. Il remonte maladroitement sa tunique au niveau de son bas ventre et se sert à boire en indiquant à celle-ci de s’en aller. Elle agrippe sa liasse et se retire discrètement, comprenant que la suite sera moins douce. Un duel approche. L’ivrogne se délecte de l’alcool qui entame son esprit et toise une fois encore son adversaire.
L’autre aussi a abusé de la boisson ce soir, il fait chaud ici et les esprits s’en ressentent facilement. Le manège durera encore quelques secondes puis l’homme debout démarrera les hostilités d’un brillant:
-Tu veux ma photo tafiole?
Alors le premier hausse un sourcil, quel manque de respect se disait il. Il secoue négativement sa tête bien alourdie par le sake. Alors même que l’autre commence à approcher d’un pas menaçant, le jeune ivrogne s’imagine déjà le tuer de dix manières différentes. Inutile de tomber dans ses basses provocations, ici seul les actes comptent un minimum. Les grandes gueules comme celui-là, il en a maté d’autres. Et ça il s’apprête à l’apprendre une bonne fois pour toutes.
Ca y est il est à portée de main, de quoi constater qu’il est lui aussi bien éméché. Le jeune ivrogne relève ses cheveux épais et embarrassants puis se soulève difficilement de sa place. Un ivrogne doit il payer pleinement pour ses actes? se demande-t-il avant de passer à l’action. Qu’importe, puisqu’il a choisi de venir ici en sachant quelles étaient les lois à Bonzo. Face à face, celui qui s’était senti provoqué le premier alluma la mèche.
-Tu fais moins le malin en face de ma tronche, connard! Tu sais pas qui je suis, ça s’voit. Alors laisse moi m’présen… (Il est interrompu)
Son interlocuteur l’a littéralement étranglé à tel point qu’il n’est déjà plus en mesure d’utiliser sa bouche. Il le cramponne plutôt violemment, alors il rougit par manque d’air et surtout car trop alcoolisé. Ses doigts fins s'implantent progressivement dans le cou de son opposant. Ses griffes font rougir sa gorge, son regard inanimé a changé de couleur aussi. Un vert émeraude scintille au fond de ses yeux. Il ne perd pas une seconde et commence à le matraquer de gauche dans le ventre. Les coups font un bruit assourdissant pour ceux qui étaient restés à proximité (il y en avait peu). Estomaqué, l’inconnu s’effondre une fois relâché par son agresseur. Les témoins baissent la tête, détournent leur regard. Depuis quelques mois maintenant, sans cesse le même manège: cet ivrogne se paie les plus gros caïds du Bonzo sans que personne ne trouve à y redire. C’était donc lui le nouveau chef de toutes ses crapules, implicitement tout le monde lui devait un minimum de respect. Ce coq arrogant, ce jeune ivrogne puant avait soumis toute la racaille du Bonzo à simple coup de violence. Evidemment, il ne connaît que cela. Même le patron des lieux est devenu son plus fidèle ami, ici on l’appelle “Le Fou” et cela lui convient bien.
Le patron justement, Ikami Takadashi, observe passivement la scène en nettoyant ses couverts derrière le comptoir. Il voit son plus fidèle client ramasser l’homme à terre par les cheveux et le traîner avec lui jusqu’à la sortie du harem. En passant devant lui, il laisse une liasse épaisse.
-Voilà pour les trois prochains mois Ikami, et surveille ta clientèle… hein!
Il sourit et lui fait signe en emportant avec lui son gibier. Il l’emmène à la rivière la plus proche et l’attache à un arbre suspendu au dessus du courant d’eau. Il se grille une cigarette puis guette le réveil de son adversaire encore sonné par l’altercation. En reprenant connaissance, il se sent mal et lâche quelques crachats avant de vomir, l’estomac remué par les frappes du jeune ivrogne. Tétanisé, l’homme ne dit rien malgré ses esprits retrouvés. C’est donc son bourreau qui reprend la discussion là où elle s’était terminée. Ce sont ses premiers mots à son adresse, alors forcément l’autre écoute religieusement.
-J’ai vraiment hésité à te tuer directement mais je suis vraiment d’humeur clémente en ce moment. (Il tire sur sa cigarette)
L’autre ne le voit pas mais l’entend seulement, puisqu’il est suspendu au tronc d’un arbre perché par dessus la rivière. Il tente de se débattre mais rien n’y fait il est trop bien attaché. Le jeune ivrogne monte alors le long du tronc sur lequel se trouve emprisonné l’autre homme, il monte puis se retrouve rapidement face à lui, plantes de pieds collés au dessus de sa tête, contre l’écorce.
-Regarde bien mon visage.
Une expression d’effroi se dessine immédiatement sur la figure de la victime. Ce pauvre homme n’a aucune idée du monstre qu’il a entrepris d’attaquer. Son teint pâlit et ses yeux s’écarquillent lentement, il réalise qu’il ne terminera peut être pas sa journée en vie.
-Je vois que tu as deviné qui j’étais. Je te laisse en vie si tu dis mon nom.
Quelques bégaiements traîtres s’échappent de ses lèvres mais rien de plus. Il le regarde fixement, toujours dans l’attente de sa réponse qui semble fatidique. Après quelques tourments intérieurs, il se décide enfin à formuler des mots.
-T’es… Aiz… Aizen Samidare?
Un sourire satisfait se dessine sur la bouche du prophète déchu, il se met à ricaner car il commence à être saoul. Son narcissisme d’antan refait parfois surface comme lors de cette journée d’automne bien arrosée. Il ferme les yeux et maintient un sourire arrogant sur ses lèvres rosées.
-Tu as gagné, je vais te laisser en vie.
Mais l’empereur vagabond garde quelques principes tout de même. Comme celui de la discrétion par exemple. C’est pourquoi il laissera derrière lui un estropié dépourvu de langue, les yeux arrachés et le coeur plein de regret. Ce n’est pas par soif de violence qu’il le fit mais par défense, par survie. Aizen est devenu un animal sauvage, une bête rare que chacun des quatre royaumes s'arracheraient si ils le savaient en activité ici à Kusa.
Ses trois ans loins du pouvoir, loin du monde shinobi, Aizen les a passé à commencer d’innombrables livres qu’il ne finit jamais. Des mémoires, des pensées et des morales, quelques récits aussi. Puis, il se mit à la peinture et finit enfin par ne plus rien faire. Le teint encore plus pâle qu’au naturel, les yeux déchirés la moitié du temps et les neurones grillées par l’alcool et les drogues diverses et variés qu’on trouve dans le bas monde criminel, c’est cet état qu’a rencontré l’ancien Mizukage par la suite. Aujourd’hui il se contente de vivre dans la luxure et les excès offerts par cette vie pathétique. Parfois il ouvre son journal et y tient compte de ses états d’âmes, loin du pouvoir.
Après avoir torturé le malchanceux qui avait croisé sa route à Bonzo, il fut finalement pris d’une faim intenable. Sur la route vers sa chambre (il loge dans un hôtel proche du harem), il décida de s’arrêter manger un peu de viande. Pendant son repas il entreprit d’écrire quelques lignes, histoire d’avancer, rien qu’un peu, dans ses travaux.
C’est en entamant le dernier effort, les ultimes boulettes de boeufs grasses et indigestes en fin de repas, que Aizen est extirpé hors de ses pensées.
-La mizukage, Drychda Yojimbo, elle est morte apparemment… En mission!
Quelle honte était cette imbécile de samouraï pour Kiri se dit il sans même prendre le temps de la réflexion. Il ressentit une pointe de colère jaillir en lui à mesure que l’informateur déballait ce qu’il savait de sa mort. Pour Aizen c’était un affront, comment son pays avait il pu cautionner le joug d’un si piètre dirigeant. Elle n’avait de toute évidence pas les épaules et mourir pathétiquement mission n’était pas digne de ses prédécesseurs. Le seul point positif pour lui était qu’il ne serait pas oublié au vu de la médiocrité de la relève. Finalement cette idée l’enjoua un peu, il put finir calmement son repas et dormir le ventre plein, l’esprit tranquille.
Le lendemain au réveil, le soleil qui traversait les rideaux de sa chambre lui offraient une vue inégalable sur le reste du quartier. Aizen se sentait différent aujourd’hui, il ne tarda pas à s’avouer que c’était la nouvelle en provenance de Mizu qui le travaillait. Non pas qu’il souhaitait reprendre ses travaux là où il les avait laissé. Non, cela le démangeait de savoir qu’un pays capable de choisir Drychda comme succession, un pays éternellement malade, à la population immature et aux institutions capricieuses, cherchait une nouvelle tête. C’était pour Aizen comme laisser le choix à un enfant. Et Aizen n’aime pas les enfants, de manière générale et à quelques exceptions prêts.
Il serre constamment sa mâchoire durant toute la première heure de réveil. Ce matin il n’a ni la tête à boire, ni à écrire des romans. Il prend cependant le temps de gratter quelques lignes sur son journal personnel.
“Je dois admettre qu’il y a quelque chose d’irrationnel dans mon attachement à Kiri, le pays tout entier et ses colonies. Ce qui a fait de moi un homme éreinté c’est ce pays et je refuse quelque part la possibilité que mon travail soit déshonoré…”
Finalement il descend se chercher un cocktails, et un second pour s’éviter des allers retours. C’est manqué car il retourne chercher une bouteille et termine ses écrits en roue libre.
“Si je veux devenir celui que j’ai été? Non, sincèrement je ne pense pas.”
A vrai dire, cette écrit est plus thérapeutique que philosophique. C’est une manière de penser, de réfléchir avant d’éventuellement sortir de l’ombre. Généralement, lorsque ce genre d’idée nous hante, on finit par céder à ses intuitions. Celle de Aizen Samidare, à cet instant précis, était de retourner fissa au pays de l’eau. Mais y faire quoi? Et quels seront les variables qui feront de son voyage un fleuve paisible ou au contraire un tsunami fatal? En réfléchissant un peu, avec un minimum d’objectivité, Aizen se sait incapable de combattre vaillamment au poing.
Ses yeux ont aussi flanché, il lui faudra s’appuyer sur l’art du Genjutsu (cf: Illusion) pour atteindre la capitale sans encombre. Là, il se dit qu’il trouvera bien du soutien pour s’établir quelques nuits.
L’estomac noué et le ventre vide, le bandit s’en va par les grands chemins cap vert l’est.
Quelques jours passèrent, il alla d’un rythme tranquille lors d’un voyage marqué de nombreuses haltes ici et là dans quelques endroits agités tels des tavernes, des thermes et autres harems douteux semblables au Bonzo. L’ancienne ombre de la brume flirta avec les autorités et s’enfonça au coeur des frontières. Les remparts gargantuesques de la digne époque Samidare l’accompagnaient jusqu’au village. Ils étaient le témoignage le plus juste de son règne strict, du repli qui était sien. Quelque part, il sentait aussi un certain malaise face à cela. Tant de protection ne pouvait après tout que créer un certain désarroi chez l’étranger. Il devina alors l’étendue de son changement, l’enfant de la brume n’était désormais plus rien pour ce pays.
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