J'ai vécu...
La pluie, les feuilles, les arbres. Le bois des maisons, et ce fabuleux château.
C'était ça ma vie, à Tanzaku. Elle était belle, ma vie. Superbe. J'avais un frère avec qui je m'entendais à merveille, des parents aimants, un cadre de vie magnifique et une amie si précieuse. Et pourtant... tout est si éphèmère. Tout est si fragile, si délicat... Tout ça, tout peut se casser en quelques secondes...
Je suis née un mois de juillet. Les adultes disent que c'était en l'an 104, mais je n'ai jamais compris ces choses-là. Les chiffres, c'est trop compliqué. Il faisait chaud, en tous cas. Et dans la pouponnière du village, nous étions deux. Le hasard avait étonnemment bien fait les choses, nous étions toutes les deux dotées de petits cheveux blancs, bien que l'une avait le regard profond, couleur du lila, et l'autre des yeux d'un vert chatoyant.
Nous avons grandis ensemble, et nous sommes devenus comme des soeurs. Elle était ma meilleure amie, nous passions tout notre temps ensemble. Elle était comme moi, elle était la grande soeur de sa famille. J'avais un frère, elle en avait pour le prix d'un, des jumeaux. Ces deux-là étaient étonnemment proches d'elle, ils la suivaient partout. Ca en était presque agaçant. Moi, mon frère était beaucoup plus sage. Il était même reposant. On pouvais compter sur lui, ce petit Kaito. Nous le trouvions toutes les deux trop mignon, ce qui avait tendance à attiser la jalousie des jumeaux.
Nous vivions paisiblement, nous adorions notre vie.
Il y a peu, les autorités du village étaient en alertes. Apparemment, une sorte de maladie se propageait. On avait l'interdiction formelle de sortir de chez nous, seul les adultes le pouvaient. Moi je ne comprenais pas pourquoi ils avaient si peur d'une simple maladie, et surtout je voulais voir mon amie. Elle et mon petit frère, ils étaient tout pour moi.
Ma mère est rapidement tombée malade, mon père en pleurait. Je ne savais pas pourquoi ils étaient comme ça. Une maladie, ça ne reste jamais bien longtemps, n'est-ce pas ?
C'est tout du moins ce que je croyais jusqu'à ce qu'au trépas de ma mère. Elle, qui avait été si belle, dans ses habits de dentelles, se promenant sur le marché munie de son ombrelle. Moi et mon petit frère, nous restâmes cloîtrés dans notre chambre. Je le tenais contre ma poitrine. Sa petite tête blonde si mignonne. Du haut de ses neuves années, il ne comprenait pas grand chose. Il n'avait pas besoin de comprendre, il avait juste à attendre là, contre moi, que tout cela se calme.
Un jour, on nous annonça que le pire était derrière nous, et que le nombre d'atteints baissaient à vue d'oeil pour des raisons que l'on ne pouvait que spéculer. Certains racontaient que c'était l'eau du village, particulièrement saine, qui nous avait sauvé en renforçant notre "système immu-je ne sais plus".
J'ai donc invitée mon amie chez nous. Elle était restée à dormir. Nous nous sommes beaucoup amusées ce soir-là, on a même fait une bataille d'oreillers, et on s'est endormie l'une à côté de l'autre. J'avais envie d'oublier tous ces évènements tragiques... elle aussi d'ailleurs. On en avait besoin.
La nuit-même, j'avais l'impression d'entendre quelque chose d'étrange, dans mon sommeil. Quelque chose de strident, comme un crissement. Quelque chose de morbide, et une odeur âcre, terrifiante. Lorsque j'ouvris les yeux, je sentais mon amie qui se blotissais dans mes bras, sa chevelure argentée, tout comme la mienne, me cachant la vue. Cette odeur, c'était la même que quand papi faisait griller de la viande dans la cheminée.
Mes yeux s'écarquillèrent quand mon petit-frère entra soudainement dans la chambre alors que des flammes consumaient son dos et le sommet de son crâne si fragile en hurlant.Il se dirigeait vers nous en courant, mais il trébucha avant de nous atteindre, et ne bougeait alors plus du tout tandis que le brasier qui ravageait l'escalier en face de la porte s'étendait désormais à l'entrée de la chambre. Je regardais le corps sans vie de Kaito sans réagir. Je sentais la petite feuille, dans mes bras, qui tremblait de tous ses membres, et qui n'osait pas se retourner. Alors que je réprimais mes larmes, je la prenais par la main, et nous nous approchâmes de la fenêtre.
A peine avais-je eu le temps de constater que le village tout entier était proie aux flammes, que j'avisais la présence de la charrette de paille en bas. Il n'y avait que quatre ou cinq mètres, peut-être, je n'en sais trop rien. Je poussais gentiment mon amie vers la fenêtre, puis je me mis à ses côtés tandis que nous regardions le vide en déglutissant.
Le feu se rapprochais dangereusement derrière, et pour couronner le tout, le toit céda au-dessus de nous, et je tombais. Nous n'avions eu que peu de temps pour réagir, moi je n'en aurais pas eu le temps, mais c'elle qui m'a poussée en même temps qu'elle tombait. Et pourtant, je fut la seule à me réceptionner dans la paille, elle avait disparue sous l'effondrement du plafond de ma chambre.
J'aurai passé des heures à me lamenter et à hurler son nom si la paille n'avait pas pris feu à son tour, me forçant à détaler en direction des murailles qui entourait le village. Elles aussi étaient en proie aux flammes, ce n'était là qu'une vulgaire palissade de bois fortifiée par quelques blocs de pierre. Comment pouvais-je bien sortir ?
Je ne pouvais réfléchir en de pareilles circonstances. Un nombre infinis de larme dévalaient mes joues sans discontinuer. Je me sentais si seule, et si menacée. De partout, des cris retentissaient.
Soudain, le destin me montra la voie. Une maison entière s'afaissa sur la muraille, l'abattant du même coup. Un trou béant à travers la structure de bois laissait un passage vers la forêt plus loin. Je m'y dirigeais alors, quand une voix m'interpella. C'était elle, qui courait derrière moi.
Comme si nous n'étions qu'un, nos mains s'interceptèrent en même temps, et nous courions désormais toutes les deux vers la sortie. Je n'avais pas le temps de me demander comment elle était ressortie vivante de tout cela, j'était juste heureuse de la voir vivante.
Alors que nous traversions la structure, quelque chose vint heurter ma jambe, et je tombait sur le ventre. Elle, elle ne tomba pas. L'expression de son visage n'était guère rassurante et lorsque je portais mes yeux sur ma jambe et la douleur qui m'y tiraillait, mon sang ne fit qu'un tour. Mon corps entier se crispait à la vue de l'énorme pan de bois tombé du plafond, et qui traversait ma cuisse, et le sang qui s'écoulait abondemment.
Mon regard se porta à nouveau sur elle. Elle pleurait encore plus. Moi, je ne pleurais plus.
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Tu dois... tu dois partir, disais-je alors que ma voix était encore plus tremblante qu'elle.
Elle ne voulais pas me laisser, elle bredouillait et bafouillait dans ses larmes. Elle empoigna le morceau de bois, et tenta de se le soulever avec une vigueur nouvelle. Au-dessus de nous, l'architecture craquait. Alors je m'époumonais à crier son nom.
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Yui... ! Yui ! YUI ! Tu... Tu dois... partir !Mon regard croisa le sien, et nous nous contemplâmes quelques secondes. Ses yeux étaient rouges, ses joues aussi, alors qu'elle ne cessait de frotter ses paupières. Nous avions de plus en plus de difficultés à respirer, et la chaleur était insoutenable.
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Vis pour moi, vis pour aimer, prononçai-je simplement.
Elle reculait, d'un pas lent, comme terrifiée. Une poutre entière s'abbatit alors sur mon dos, me coupant le souffle. Mais je ne faiblissais pas mon regard. Je la regardais. Elle voulut se rapprocher, mais je lui fis non de la tête, alors elle pleura plus encore, recula plus encore. Et une partie de la structure s'affaissa. Je ne voyais plus ses yeux, ni son visage, et c'était la dernière fois. Je ne voyais plus que ses pieds, et je sentais les flammes naître sur moi.
Les pieds de Yui était restés encore là, reculant toujours un peu plus. Puis elle se tourna vers la forêt. Je la voyais s'enfuir en courant, et je sourais tandis que je sentais ma peau brûler. Je voulais hurler, mais je n'en avais pas la force.
C'était égoiste, peut-être, de vouloir qu'elle survive après ce qu'elle avait vécu. Mais tant qu'elle vivrai, Tanzaku vivra. Tant qu'elle vivra, je vivrai.
Je posais ma joue contre le parquet brûlant, en fermant les yeux. Je sentais ma peau fondre. Sur mon dos, ma chaire était à vif, peut-être même qu'elle n'existait déjà plus. La structure s'effondra sur moi, mais la poutre qui était tombée plutôt sauva mon crâne, m'accordant encore de longues minutes de souffrance.
Mais le hasard faisant bien les choses, je ne pu supporter plus longtemps une telle douleur, et je sentais que j'allais m'évanouir. Je mourrais certainement quelques minutes plus tard, sans même m'en aperçevoir.
Yui...