The world belongs to us.

Un vent froid s’était mis à souffler pendant la nuit. Sur son passage, les arbres faisaient entendre leur lugubre plainte, dont le son se répercutait comme un glas annonciateur d’une tragédie. La nature grelottait, frissonnait. Quelques brins d’herbe un peu trop aventureux étaient déjà couverts de givre. Les animaux peureux s’étaient vite réfugiés à l’intérieur de leurs tanières, peu enclins à affronter bravement l’atmosphère glaciale de ce début de journée. Peut-être sentaient-ils simplement le danger imminent, qui cheminait lentement, le long de leurs demeures ? Cette année, l’arrivée de l’hiver s’accompagnait du chaos sur le pays du Feu. Et le chaos avait revêtu la forme d’une frêle jeune fille, au visage de porcelaine rougi par la morsure du froid.

Une poupée ? Oh, non. Loin, très loin de là. Sa fine silhouette arpente lentement, silencieusement, la contrée glacée. La terre craque sous ses pas un court instant, avant de se taire pour l’éternité. La lame affutée de son épée massive semble briser les courants d’air au moindre de ses pas. Ses pieds bleuis et ses lèvres gercées trahissent son corps imparfait, fragile. Mais elle ne ressent pas le froid. Elle préfère ignorer cette sensation gênante. Et son corps, d’apparence si peu robuste, est au contraire bien entraîné. Il résistera, elle le sait. Elle a confiance en elle et en ses capacités. Sinon, pourquoi serait-elle là ? Elle fixe le sol, avec l’air de ne pas trop savoir où elle se dirige. Détrompe-toi. Elle sait pertinemment où elle met les pieds. Le contraire serait du suicide. Personne ne s’aventure jamais dans le coin. Trop dangereux. Trop mortel. Et tu sais quoi ? C’est exactement pour ça qu’elle est là. On pourrait croire que c’est son âme aventureuse qui guide ses pas, l’a amenée là. Ce serait tout à fait possible. Mais ce n’est pas le cas.

Elle est en mission. Sûrement l’une des plus importantes de sa courte vie.

D’apparence sereine, elle sent pourtant son cœur battre, obéissant à une excitation qui la remplit d’adrénaline. La mélodie provenant de sa cage thoracique rythme ses pas. Jamais elle n’a fourni d’effort aussi conséquent pour maintenir la cadence. Rester calme, surtout. Ne pas se laisser aller à l’excitation. Résister à l’irrésistible tentation de courir, sauter partout, hurler. Comme la gamine qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Mais le passé, c’est le passé. A oublier. Il doit rester un simple moteur. Là, c’est sur l’instant présent qu’il faut se concentrer. Sous peine de commettre des erreurs mortelles.

Jamais encore elle n’avait ressenti autant de stimulation. La douleur, ça oui. Elle l’avait connue. Ressentie plus d’une fois. Elle avait appris qu’elle avait un frère. Qu’on avait tué. Elle avait assassiné ses parents. Pourquoi au juste ? Peut-être par simple désir de vengeance. Elle ne savait plus trop, à vrai dire. Par la suite, on l’avait plus ou moins amenée à déserter son village d’adoption. Après des années d’entraînements acharnés, elle avait fini par gagner en agilité, en assurance, en maturité, en puissance. Ce qui lui avait permis d’accomplir la meilleure chose qu’elle ait jamais faite dans sa vie, jusqu’à aujourd’hui. Elle avait rejoint les rangs de l’Akatsuki. L’organisation secrète, composée des plus dangereux meurtriers du monde. Elle s’était sentie mieux. Enfin, on lui reconnaissait sa puissance, son pouvoir. On admirait son potentiel, on acceptait sa supériorité par rapport au commun du reste des mortels. Enfin, elle était devenue quelqu’un. Elle avait fini par exister. Ça lui avait pris du temps. Mais désormais, elle savourait chaque instant de sa nouvelle vie. Enfin libérée du poids mort de la souffrance, elle renaissait un peu plus chaque jour, tel un phénix d’un noir si intense qu’il en absorbait la lumière des alentours.

Cette fille était une boule d’énergie noire, obscure. Une âme égarée entourée d’une aura glacée, un vampire qui carbure au sang frais. Une véritable furie, un monstre d’égoïsme. Un monstre tout court. Il faut dire qu’on ne l’avait pas beaucoup aidée non plus. Les ninjas ont tous un mentor qui les guide dans le droit chemin. Son mentor à elle n’est plus de ce monde. Il est mort, enterré, réduit à l’état de poussière sous le sol givré. Mais il existe toujours. Il est là, en elle. Il fait partie d’elle. Il ne se passe pas une minute, pas une seconde, pas un instant sans qu’il ne la pousse de l’avant. C’est un feu rougeoyant qui étincelle, lui donne l’énergie nécessaire pour ne pas complètement sombrer dans une folie destructrice qui la dévore déjà assez. Lui n’en a pas conscience ; il n’a plus conscience de rien. Mais elle non plus. Fut une époque où toutes ses pensées se tournaient automatiquement vers lui. Vers cet être qu’elle n’avait jamais connu mais qui lui manquait cruellement. Au fil du temps, elle ne l’a pas oublié. Jamais. Mais elle a changé. Beaucoup. Et ses pensées, ses réactions aussi.

Sans interrompre le fil de ses pensées tordues, la jeune fille chasse d’un geste sec les longs cheveux bruns qui se rabattent devant ses grands yeux profonds. S’efforçant de ne pas se jeter tête la première dans la gueule du loup, elle réfléchit à son histoire. Comme si ce jour marquait la consécration de sa courte vie. Elle n’a que dix-neuf ans. Et elle s’appelle Fuku. C’est un doux nom, qui signifie « bonheur ». Sait-elle seulement ce qu’est le bonheur ? C’est peut-être cet état d’ébriété après l’annonce d’une grande nouvelle, qui sous-entend qu’on vous accorde une confiance absolue. Peut-être cette excitation à l’approche d’un jour exceptionnel. Ou alors est-ce les battements accélérés de votre cœur qui vous mettent sur la piste ? Mais peut-on réellement savoir si on est heureux quand on n’a jamais goûté au bonheur ?

Soudain, elle s’arrête. Jamais son cœur n’a tambouriné aussi vite, aussi fort, contre sa poitrine. Elle pourrait exploser d’adrénaline. Elle sent qu’elle touche enfin au but. Saura-t-elle te montrer sa valeur, aujourd’hui ? Reviendra-t-elle au quartier général la tête haute, fière de son exploit, hautaine et admirée de tous ? Brillera-t-elle à tes yeux éteints ? Elle l’espère. C’est en partie ce qui la motive.

Et elle attend. Elle pourrait se précipiter dans la caverne qui abrite le démon, déployer toute son énergie, tous ses talents de tueuse, et revenir les mains dans les poches. Ou avec un bras en moins. Mais elle n’est pas là pour tuer. La psychopathe assoiffée de sang chaud, à la détente un peu trop facile, a reçu pour ordre de capturer. On n’éradique pas la cible de la surface de la terre. On s’en tient à la mettre temporairement hors d’état de nuire.

Pas d’arbre à l’horizon. La plaine nue n’offre aucun abri digne de ce nom. La jeune fille se laisse alors tomber dans l’herbe humide et froide du matin, et patiente. Elle sort une gourde et boit son contenu. Boisson énergisante de sa propre fabrique. Du genre à vous exorbiter les yeux, à faire gonfler vos veines et palpiter vos tempes. Puis, comme à son habitude, elle sort une clope, l’allume, et continue d’attendre. Encore. Toujours. Elle est pressée.

Enfin, une silhouette se dessine à travers le brouillard morose de ce début d’hiver. Les murmures du vent parviennent à couvrir ses pas silencieux, qui s’écrasent sur le givre. Ses yeux d’émeraude ne le quittent pas. Elle le détaille sous toutes les coutures. Des cheveux noirs plus courts que les siens, mais la même allure dans sa cape noire virevoltante, bardée des nuages rouges de l’organisation criminelle. A n’en pas douter, l’homme est plus vieux qu’elle. Et son visage lui est familier. Peut-être l’a-t-elle déjà croisé au quartier général, tout simplement. Une chose est sûre : ils n’ont encore jamais travaillé ensemble. La gamine travaille toujours seule. Elle n’a que faire d’un boulet qui la ralentit et ne lui obéit pas. Mais aujourd’hui, c’est différent. Jamais elle ne l’admettra, pas même en elle-même, mais son aide lui sera précieuse. Elle a besoin d’un partenaire. On ne capture pas un démon tout seul, en claquant des doigts.

Pas quand en plus, le démon en question est pourvu de cinq queues.

La jeune fille s’est redressée. Sans se presser, le nouveau venu arrive enfin à la hauteur de la jeune tueuse.

- T’es en retard, saloperie de bâtard, lâche froidement cette dernière en guise d’accueil. On t’a pas mis au courant, ou quoi ? Tu crois que c’est un jour pour arriver à la bourre ? Tu vas tout faire foirer.

D’un geste agacé, elle écrase consciencieusement sa cigarette, qui s’éteint brusquement dans l’humidité du sol.

- Je te préviens, gronde Fuku, pas décidée à lâcher le morceau, je suis pas là pour m’amuser. J’ai horreur des boulets dans ton genre. Fais pas semblant d’être puissant, moi aussi j’ai gagné ma place au sein de l’Akatsuki. Un seul pas de travers, et c’est foutu. La chose tapie là-bas ne m’impressionne pas. On va écraser cette bestiole, et la ramener sans histoire. Compris ?

Elle a beau dire, elle sent l’excitation la gagner. Vite, plus vite, ils perdent trop de temps ! Elle avait hâte de commencer, hâte de se battre, de hacher menu, d’en finir. Et ce n’était pas ce grand dadais qui allait l’empêcher de savourer son heure de gloire.

- Bah, si tu as tout saisi, je crois qu’on peut y aller, fait simplement la jeune fille, tournant son regard pétillant vers l’antre sombre où se jouerait leur avenir.

Elle ne daigne pas accorder le moindre regard à l’homme à ses côtés. Pourtant, elle peut sentir son calme. Il est serein, tranquille. Concentré. Et son cerveau fonctionne déjà à plein régime. Il sera la tête pensante ; elle est la pile électrique. En tout cas, la gamine ne l’impressionne nullement. Et pourquoi donc se laisserait-il faire par une jeune fille d’une tête de moins que lui ? Elle a tué, elle tue, elle aime ça, ne vit que pour ça. Oui, et alors ? C’est le cas d’à peu près tous les membres de l’organisation. Pas de quoi s’en décrocher la mâchoire. Lui aussi était un tueur. Bien plus expérimenté, en plus de ça. Plus âgé, donc plus mûr. Peut-être même plus doué au combat. Mais ça, il allait avoir l’occasion de le prouver.

Bien évidemment, l’homme ne tarde pas à répliquer. Sa réponse est tranchante comme un rasoir, glaciale comme le début de l’hiver.

- Humm... Je vois... T'es du genre pressé gamine ? Parce que là-dessus on ne va pas être d'accord donc tu vas te calmer rapidement ou je te fous une fessée et coucher sans manger c'est bien compris ? On est du même bord ne l'oublie pas mais je suis du genre à ne pas me laisser faire par des petites imprudentes idiotes dans ton genre donc on va réfléchir à un plan bien tranquillement et tu vas écouter et te la boucler. Clair ? Alors, je vais essayer de faire simple : tu le prends par devant et je m'occupe des côtés, tu l'attaques avec le maximum de chakra que tu puisses délivrer et je l'affaiblis sur les côtés, ensuite, on l'attrape. Mais seulement à ce moment-là c'est compris la folle ?

C’est le dernier mot qui a finalement raison de la patience de la jeune fille. Toute aussi glaciale, elle se tourne vers l’intrus. Drapée dans son arrogance, elle lui réplique d’un ton cassant :

- Folle ? Dis-moi, manche à balai, combien de fous as-tu croisés au cours de ta misérable existence ? Parce que je ne pense pas leur ressembler en quoi que ce soit. Je me bats, avec des armes ou à mains nues. Je frappe aussi fort qu’un homme. Je coupe des bras, je tranche des têtes. J’adore voir le sang couler sur la neige froide, et la voir fondre. J’ai mes propres idéaux dans la vie, et peu de gens les comprennent véritablement. Mais est-ce que ça fait de moi une folle ? Non, je ne crois pas. Alors rengaine ton air supérieur de scientifique de mes deux. Je te le répète, tu ne me fais ni chaud ni froid.

Peut-être a-t-elle tort, peut-être a-t-elle raison. Les tourments de son âme resteront à jamais un mystère obscur et indéchiffrable à quiconque tentera de les comprendre. Elle n’est pas folle. Mais elle n’aura probablement jamais les idées claires. Cette fille est un cas désespéré. Tout comme le type qui se tient résolument à ses côtés. Sinon, qu’est-ce qui l’aurait poussé à rejoindre les rangs des tueurs en série les plus craints du moment ? Fuku l’observa franchement, plongeant ses yeux abyssaux dans ceux, ambrés, du jeune homme. Oui, voilà. Qu’est-ce qui avait motivé son choix, à lui ? Quelles douleurs la vie lui avait-elle infligées pour qu’il devienne un délinquant reconnu ? Avait-il lui aussi tué les êtres qui partageaient son sang ? S’était-il senti rejeté à une époque de sa vie ? Avait-il senti cet irrépressible besoin de faire quelque chose de sa vie, d’être reconnu par tous les ninjas de la planète ? Elle n’en sait rien, et ne posera pas de question. Ca l’intrigue, mais si elle reste dans l’ignorance, elle s’en fiche. Connaître ses compagnons ne l’intéresse guère. C’est un loup solitaire. Auquel la vie a appris qu’aimer est la pire des faiblesses.

Elle, elle n’est pas faible. Elle est forte. Et le deviendra encore plus. Toujours plus. Et tous le sauront. Tous la craindront. Et quand son règne prendra fin, les rares descendants des survivants raconteront aux générations suivantes combien elle était dangereuse.

Bon. Ca suffit les délires de surpuissance. Ils ont un monstre à capturer. Et l’autre imbécile semblait avoir une idée en tête. Un plan bien construit. En apparence seulement. Fuku ne tarda pas à lui faire part de sa propre théorie.

- Tu te fous de ma gueule ? lui demande-t-elle, exaspérée par ce simple d’esprit. Tu penses sérieusement qu’on va entrer les mains dans les poches, que le démon va nous accueillir sans broncher, et nous laisser l’attaquer de face et sur les côtés comme tu l’entends ? Tu as l’air d’avoir une haute estime de ta propre puissance. C’est bien. Je n’ai pas besoin d’un boulet. Et franchement, tu me déçois. Un plan d’attaque aussi simplet n’a aucune chance de fonctionner. Je ne sais pas comment tu te bats. Tu ne connais rien de mes techniques de combat. Alors inutile de monter une stratégie qui va s’effondrer à la moindre réplique adverse. On fonce dans le tas, et on voit ce qu’il en advient.

Puis son regard se porte de nouveau sur la caverne. Et elle sourit. Un rictus mauvais qui s’efface presque aussitôt. Ce type arrogant la prend pour une gamine. Il veut lui donner une fessée ? A son avis, il ferait un bien mauvais père. D’ailleurs, ses parents, elle les avait éradiqués de la surface du globe. Et personne n’avait rien fait pour l’en empêcher. Alors si l’autre voulait jouer au papa et à la fifille, elle allait le lui faire regretter. Amèrement.

Néanmoins, sa réaction l’avait amusée. Un court instant, bien sûr, mais tout de même. Elle n’en a pas conscience, et lui non plus d’ailleurs, mais tous deux s’expriment de la même façon. Tantôt calme, ils savent établir des plans d’actions en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Même si leurs points de vue divergent. Et tantôt surexcités, quand il s’agit de remettre l’autre à sa place. On dirait une dispute entre le frère et la sœur. Mais ni l’un ni l’autre ne s’en rendent compte.

Ce duo promet finalement d’être intéressant. L’homme réfléchi et la jeune fonceuse, réunis dans une mission qui met leurs vies en grand danger. Mais ils se ressemblent plus qu’ils ne le laissent entendre. Ils sont du même bord. Ils ont le même but. Chacun a sa force et sa personnalité. Et ce cocktail explosif ne laissera pas la mort passer à côté.

Sauf que les deux jeunes gens resteront debout. Du moins l’espèrent-ils.

- Je m’en fiche que tu sois d’accord ou non, achève la jeune fille en faisant quelques pas en direction de l’entrée. T’apprendras vite que je n’obéis à personne, sauf à moi-même. Si tu penses que le temps presse et que ça ne vaut pas la peine de parlementer avec une furie telle que moi, je sais que tu me rejoindras.

Sans un regard en arrière, elle descend la colline en pente douce. Elle prend garde à ne faire aucun bruit. Ses pas se font légers, aériens. Et le givre ne craque pas sous ses pas. Il serait bête d’annoncer leur venue haut et fort. Peut-être la bête dort-elle. Fuku ignore si les démons à queues connaissent le sommeil. Toujours est-il qu’elle ne compte pas se faire prendre à son propre piège. Si elle et son collègue peuvent prendre la bête par surprise, ce sera un bénéfice pour eux. Une longueur d’avance. Et il faut veiller à toujours en avoir une sur son adversaire.

Elle reste aux aguets. Le silence pesant sur les environs se fait lourd et intense. Elle contrôle sa respiration, pour tenter de rester silencieuse, alors que son cœur cogne contre sa poitrine. Tellement fort que le monstre risque de l’entendre. Elle est à peine à deux mètres de l’entrée de la caverne ! Plus que quelques pas, et le combat pourra débuter ! Elle est tellement excitée, et en même temps, terrifiée à l’idée d’être déçue. Et si le monstre n’était finalement plus là ? Si on avait dépêché une équipe avant eux pour le ramener à bon port ? Et si le légendaire démon à cinq queues se révélait être un piètre adversaire ? On l’évoquait comme étant redoutable, dangereux. Comme tous les autres démons. Mais combien l’avaient véritablement affronté, pour ainsi affirmer le danger d’une confrontation avec lui ? Aucun. Aucun être encore en vie, en tout cas. Alors oui, Fuku devait tout d’abord le ramener avec elle, sain et sauf mais incapable de nuire, au quartier général. Mais elle voulait un beau combat. Un affrontement épique. Elle voulait se divertir. Avoir peur pour sa vie. Ce qui ne lui était pas arrivé depuis… Avait-elle déjà ressenti cette peur auparavant ? Elle ne s’en souvenait pas.

Elle qui pensait tomber sur un tas d’embûches sur sa route, elle fut déçue. Elle s’attendait à croiser des soldats de Konoha, peut-être. Des mines anti-intrus qui auraient explosé sous ses pas prudents. Une salve de kunai tueurs, sortis d’on ne sait trop où. Quelque chose, n’importe quoi. Mais il n’y a rien. Elle parvient sans encombre devant la caverne colossale.

A l’intérieur de laquelle elle pénètre. Prudemment, lentement, doucement, elle fait quelques pas en avant.

Et soudain, à travers l’obscurité, jaillissent deux lumières bleues. Intenses et terrifiantes.

Les yeux de Gôbi viennent de s’ouvrir.

Alors que le démon s’éveille enfin, tiré de ses insondables pensées, l’homme aux cheveux noirs rapplique. Usant de son inhumaine rapidité, il parvient sans encombre à la hauteur de la jeune tueuse. Ignorant presque la présence de la bête meurtrière, il se tourne vers la jeune Fuku, et tente de la remettre à sa place. Essaye vainement de lui ouvrir les yeux. Mais elle ne prend même pas la peine d’écouter son sermon. Qu’en a-t-elle à faire, de ce type qui veut lui faire la leçon, sous prétexte qu’il semble plus âgé qu’elle ? Rien du tout. Tout comme elle n’en a rien à faire de son discours vantant la sagesse de son plan construit et réfléchi. Tout comme elle s’en fiche des présentations. Qu’est-ce qu’il croit ? Qu’elle ne connaît pas Gôbi ? Qu’elle débarque ici en tant que parfaite touriste ? Qu’elle faisait une promenade de santé et qu’elle est tombée sur sa proie par hasard ? Non. Elle sait quand même où elle met les pieds. Même si son comportement ne le laisse pas forcément deviner.

L’homme s’est planté juste devant elle, espérant peut-être ainsi réussir à capter son attention. Peine perdue. Il n’existe déjà plus. Le cœur de la jeune fille bat à cent à l’heure. Elle tente de le maîtriser, mais n’en a même plus conscience. Ses yeux emplis d’une incandescente rage de vaincre ne quittent plus les puits de lumière malsaine face à elle. Comme si les deux êtres entraient en communion. Ce qui est loin d’être le cas. La bête ne quitte plus les intrus des yeux. Un court instant s’écoule, durant lequel elle tente de réaliser ce qui se passe. Ces deux petits êtres tentent vraiment de s’en prendre à elle ? Aucun d’eux n’a encore esquissé de geste brusque. Pour le moment, la gamine se contente de la fixer sans ciller, un étrange sourire naissant inconsciemment sur ses lèvres minces. Un sourire tordu qui n’en est pas un, plein d’ironie et d’appréhension mêlées. Et qui crie sa plus grande faille. Elle se trouve impressionnée. Quelques secondes seulement. Son sourire s’efface aussitôt. Au profit de son regard qui se durcit. S’assombrit. Exprime sa noirceur intérieure. Et tente de transmettre quelque chose à ce monstre incapable de ressentir autre chose que la douleur qu’elle tente lui infliger par la suite. La peur. Elle tente de lui faire comprendre que son sort est d’ores et déjà scellé. Que c’est fini. Avant d’avoir commencé. Qu’il ne sert à rien de résister. Et que le démon ferait mieux de craindre pour sa vie.

Et le rempart entre les deux, c’est l’homme. Dont la bouche s’agite vainement. Il déballe un flot de paroles que son interlocutrice n’entend même pas, focalisée qu’elle l’est sur la bête tapie dans l’ombre. Pourtant, le récit pourrait l’intéresser. L’homme lui explique qui il est. Assez vaguement, d’accord. Il évoque la destruction de son clan, les meurtres qu’il a perpétrés, contre les siens. Et la seule personne qu’il a décidé de garder en vie. Mais il ne s’étend pas plus. Si la jeune fille lui prêtait attention, elle n’en serait pas plus impressionnée que ça. Elle aussi a assassiné sa famille, après tout. Une famille qui lui avait menti durant des années. Certes, le nombre de ses victimes est nettement moins impressionnant. Mais elle non plus n’a jamais hésité à tuer quand l’occasion se présentait. Lorsqu’une potentielle victime se présentait à elle, elle ne l’a pas laissée vivre. Jamais. Alors que le type qui lui fait barrage, si. Mais peut-être aurait-elle apprécié de se rendre compte que cet inconnu n’est pas si différent d’elle-même. Peut-être aurait-elle pu se décider à lui accorder un peu plus de confiance. Mais il ne l’intéresse définitivement pas.

L’homme comprend enfin que ses efforts sont parfaitement inutiles, et se tourne vers son adversaire avec une impressionnante rapidité. Sans perdre de temps, il passe à l’attaque. Avant que la bête ne comprenne ce qui lui arrive. Il active hâtivement son chakra, et lance une boule de feu sur le monstre. Ce dernier lui répond par un mugissement annonciateur de fin du monde et qui perce pratiquement les tympans des deux attaquants. Et c’est ce bruit perçant qui ramène la jeune Fuku à la réalité des choses.

Son instinct combattif se réveille aussitôt, et emplit ses veines d’une adrénaline bouillonnante. Est-elle encore humaine ? Oui. Mais ses instincts de bête ne vont pas tarder à submerger le peu d’humanité qui l’habite encore. C’est comme ça quand le combat est important. Décisif. Dangereux. Oui, elle est humaine. Mais plus pour longtemps.

La boule de feu n’inflige que peu de dommages au monstre qui s’égosille encore. Mais elle a au moins le mérite d’éclairer l’obscure caverne qui va leur servir d’arène. Les flammes brûlantes projettent leurs lueurs rougeâtres sur les parois de l’antre. Les brèves lumières dansantes dévoilent l’immensité insoupçonnée du lieu. L’entrée principale mène à une immense salle de pierres, qui abrite la bête, endormie jusqu’à il y a peu. Mais des boyaux obscurs mènent encore plus loin dans la caverne, plus profondément sous la terre. L’information fait rapidement le chemin jusqu'au coin stratégique du cerveau de la jeune tueuse. Et il lui apparaît vite que la salle a beau être spacieuse, elle ne l’est pas assez pour trois combattants. Gôbi pourrait bien détruire la caverne, à force de s’agiter comme il le fait. Ça ne serait pas un problème, si les deux membres de l’Akatsuki ne risquaient pas, au passage, de prendre un bout de la voûte sur le coin de la tête. Et puis, la jeune fille est une fille libre. Ivre de grands espaces et d’infinité. Alors, le combat en huit clos, ça ne l’inspire pas plus que ça. Par contre, elle note sans problème que les boyaux de pierres sont larges. Très larges. Bien assez pour laisser passer l’imposant corps du monstre. Ce qui signifie forcément qu’ils mènent… ailleurs. Dans un autre lieu, probablement plus spacieux. Donc plus pratique pour une bonne baston.

La jeune fille réagit au quart de tour. Alors que les flammes s’éteignent, elle fonce vers le tunnel mystérieux. Elle s’arrange pour que son partenaire puisse clairement l’apercevoir. Peut-être comprendra-t-il ainsi qu’elle a une idée derrière la tête. Qu’elle a peut-être trouvé une technique pour gagner.

Sauf que, voilà. Il y a un détail auquel elle n’a pas pensé une seule seconde.

Le seul à connaître les lieux comme sa poche, c’est le démon. Ce qui lui offre un avantage certain pour le combat à venir.

Inconsciente des risques qu’elle prend, l’intrépide ninja s’enfonce dans les ténèbres. La bête ne se lance pas immédiatement à sa poursuite. Elle a sûrement focalisé toute son attention sur l’assassin, resté dans la pièce principale. Ce qui lui laisse le temps de préparer son attaque.

La jeune fille fait volte-face, et ne met que quelques secondes à réfléchir. Son adversaire, comme l’a si bien souligné son coéquipier deux minutes auparavant alors qu’elle ne l’écoutait pas, est le maître de la vapeur. Pour elle qui maîtrise les techniques Suiton, ce n’est peut-être pas une bonne nouvelle. Impossible de le certifier sans le vérifier. Mais elle n’est pas là pour mener des expériences scientifiques. Elle est là pour se battre, pour gagner. Alors elle opte pour sa seconde spécialité. Le Raiton. La foudre dévastatrice. Ses mains s’illuminent de chakra bleu, illuminant les infinis couloirs de l’antre. Elle se concentre. Au moindre faux pas, tout peut basculer. Elle n’a pas pris le temps d’étudier ce nouvel environnement, mais elle n’en a pas besoin. Elle sait pertinemment où elle se trouve. Une caverne étroite, au cœur de laquelle la moindre attaque peut vite se révéler autodestructrice. Le peu d’espace offert n’est pas forcément un avantage. C’est plus facile de viser. C’est plus facile de toucher l’adversaire. Mais le partenaire aussi. C’est une épée à double tranchant.

Elle soupire. Si l’homme n’était pas là, ce serait probablement plus facile. D’autant qu’il a l’air décidé à ne pas écouter ses envies de combat. Plutôt d’agir à sa guise. Il risque de lui mettre des bâtons dans les roues plus qu’autre chose. Dans ce cas, elle fera avec, tout simplement. Si le chef lui a assigné un partenaire, ce n’est pas pour rien. Elle aurait préféré lui montrer sa force à elle seule. Mais tant pis. Ce sera une autre fois. Son expérience du combat lui souffle de faire de son mieux pour épargner son équipier, tandis que son agressivité naturelle lui crie de se donner à fond pour avoir une chance de rentrer en un seul morceau. Alors elle va écouter son instinct.

Car la bête vient de tourner son regard bleuté vers elle.

- Raikyuu, la boule de foudre ! s’écrie la jeune ninja.

Son cri se répercute sur les parois de la caverne, tandis que ses mains forment une boule électrique qui s’élance en direction du monstre beuglant. Mais elle n’est pas stupide au point de rester plantée là. Elle se retourne vers le fond de la caverne, sans même vérifier si son attaque a porté ses fruits. Chaque seconde compte. Elle mise sur l’humidité ambiante pour amplifier l’efficacité de ses attaques. Et songe que, si son coéquipier ne maîtrise que le Katon, ils vont avoir du mal à l’emporter. Il va falloir qu’il aille puiser dans d’autres réserves s’il veut se montrer efficace.

Un cratère se creuse non loin derrière son dos. Gôbi vient d’abattre son énorme patte dans la roche avec violence, laissant une empreinte distincte dans le sol pourtant solide. Fuku a eu de la chance. Elle n’est pas aussi rapide que son partenaire, et ne doit sa survie qu’à ses prodigieux réflexes. Si son attaque a touché la bête, elle ne l’a pas suffisamment amochée pour l’immobiliser. Il va falloir trouver autre chose. Et vite. Car le démon se déplace avec une vitesse incroyable, et une agilité qu’on ne lui soupçonnerait pas. Malgré la tension et l’appréhension, la jeune fille esquisse un sourire. Le démon n’a pas commencé à se battre sérieusement. Il ne fait que se défendre. Et il semble plutôt résistant. Le combat s’annonce prometteur. Finalement à la hauteur de ses espérances.

Si elle croyait en un dieu quelconque, elle aurait pu le remercier. Mais cette petite boule d’égoïsme ne croit qu’en elle-même. Aussi bénit-elle plutôt son instinct hors du commun quand elle débouche enfin dans une carrière souterraine. Comme elle l’avait espéré. Elle aurait pu se tromper. Etre à côté de la plaque. L’existence d’une autre partie de la caverne n’était que pures suppositions. Le tunnel pierreux aurait très bien pu mener à un cul-de-sac, nulle part. Mais il s’avère qu’il menait bel et bien à ce qu’on pourrait appeler un terrain de jeux pour démon à queues. Un champ de pierres désolé, un carnage total. Sans une seule source de lumière. Avec des roches entières, des morceaux de cailloux, disposés en vrac, suivant le hasard le plus total. La combattante y voit tout de suite un tas de cachettes potentielles. Mais comme il fait noir, elle ne voit pas les crevasses, les trous formés par les blocs de pierres disposés au hasard. Elle se prend le pied dedans. Mais ne panique pas. Il est encore trop tôt pour se laisser aller aux émotions. Elle se tire d’affaire juste à temps pour esquiver un nouvel assaut bestial. Elle s’abrite quelques instants derrière un gros rocher. Juste le temps de souffler une nouvelle boule de foudre en direction des grands yeux abyssaux. Qui n’atteint pas sa cible mouvante. Mais éclaire leur nouvelle arène de jeu.

Son cri rauque perce le silence rocheux.

- Putain d'enflure, si tes putains d'attaques inutiles me blessent, je te jure que tu vas le sentir passer !

Quand il s'agit des relations humaines, cette fille fait toujours tout en finesse.

Aucune réponse ne lui parvient. En même temps, il n’y a pas grand-chose à répliquer. Le grand type aux cheveux noirs n’est pas tombé de la dernière pluie. Plus âgé que notre boule d’énergie, il sait garder son sang-froid. Les piques de l’adolescente auront du mal à l’atteindre. Lui préfère, avec raison, se concentrer sur le combat en cours. Après tout, sa vie est en jeu. Ce n’est pas rien. Et la gamine ferait bien de suivre l’exemple. Au lieu de s’emporter contre son compagnon, elle ferait mieux de focaliser toute son attention sur l’énorme bête qui lui sert d’adversaire. Cette dernière pousse d’ailleurs un rugissement rauque, profond et guttural, qui ébranle la caverne toute entière. Les murs vibrent de ce cri de colère, et la voûte aussi. Malgré le mugissement bestial, Fuku peut l’entendre se craqueler. Le plafond doit être des plus fragiles pour ainsi se fissurer. De petits morceaux de roche s’écrasent sur les rochers qui abritent la jeune fille, accompagnés de poussière. C’est le début de la fin. Si le démon à cinq queues continue de s’époumoner de la sorte, les deux membres de l’Akatsuki sont perdus. La voûte s’effondrera sur leurs têtes avant même qu’ils aient pu faire leurs preuves.

Et la jeune Fuku s’en rend compte rapidement. Aussi, dès que l’orage fait mine de s’apaiser, elle sort précipitamment de sa cachette, prenant soin de faire le plus de bruit possible pour attirer l’attention du démon. Maîtresse de ses mouvements, elle se déplace dans l’arène avec agilité. Son déplacement aérien lui évite de coincer son pied dans un trou, et de finir bêtement croquée par l’animal qui la talonne sans relâche. De temps à autres, elle se retourne pour lancer d’aveuglantes boules de foudre, dont la lumière lui déchire les yeux. Aucune de ses offensives ne fait mouche. Mais c’est le seul moyen qu’elle ait trouvé pour se repérer dans ce noir absolu.

Ses pirouettes l’amènent à une étendue d’eau, dont elle n’aurait jamais soupçonné la présence si elle n’avait pas sauté à pieds joints dedans. Surprise, elle perd l’équilibre, et se fait faucher par la patte de Gôbi. Son cri de douleur s’étrangle dans sa gorge, et elle s’écrase à quelques mètres, parmi les roches dures et anguleuses. L’atterrissage est plus douloureux que le coup de la bête. Mais c’est loin d’être terminé. Très loin. La jeune fille se redresse, se massant l’épaule droite. Ça y est. Ça devient du sérieux. La jeune fille comprend enfin que l’esquive ne lui sera pas d’une grande aide. Si elle veut en finir avant que la voûte ne cède, elle va devoir passer à l’attaque. Et sérieusement, cette fois. Pas question de gaspiller son chakra pour rien. Eclairer la salle obscure, d’accord. Mais autant en profiter pour mieux viser.

- Raiton ! Ikadzuchi no Kiba !

La jeune fille joint ses mains en direction de la voûte. Son chakra se projette dans les airs, et la foudre retombe dans la salle, déchirant la noirceur de l’atmosphère. Un instant aveuglée, la jeune fille plisse les yeux pour ne pas perdre une miette de ce qui se passe. Dès qu’elle repère sa proie, elle n’hésite pas une seule seconde, et décharge une nouvelle boule d’électricité en sa direction. Cette fois-ci, l’attaque atteint sa cible. Le cri de la bête déchire de nouveau le silence de la caverne, faisant vibrer les parois de pierres. Fuku s’accroupit par terre pour ne pas perdre l’équilibre. Elle ne peut s’empêcher de sourire. La réaction de la bête lui prouve bien qu’elle craint ses attaques de foudre. Le démon n’est pas invincible.

Cependant, il n’est pas un idiot non plus. C’est une bête puissante qui ne se laissera pas capturer aussi facilement. Elle riposte aussitôt avec plus de violence qu’auparavant. Sa rapidité se retrouve décuplée, et Fuku ne peut esquiver tous ses assauts. Elle se retrouve en boule au creux des rochers avant d'avoir pu comprendre ce qui lui arrivait. Les chocs se font plus durs et plus violents. L’animal a enfin compris qu’on en voulait à sa vie. C’est qu’il est temps de jouer aussi férocement que lui. Fuku va devoir trouver un moyen d’atteindre sa cible malgré l’obscurité. Et pour ce faire, elle a déjà sa petite idée. Une idée qui la répugne, bien évidemment, puisqu’elle va avoir besoin de l’autre imbécile. Mais la capture d’un démon à queues exige qu’on fasse certains sacrifices. Dont celui de sa propre dignité.

Elle ignore ce qu’il est devenu de son compagnon depuis le début de l’affrontement, mais elle crie dans l’espoir qu’il l’entende.

- Putain d’asperge, il est temps de passer aux choses sérieuses ! Alors rends-toi utile et éclaire-moi cette putain de caverne avec tes flammèches ridicules !

Toujours pas de réponse. Peut-être a-t-il déjà rendu l’âme ? La jeune fille avait pourtant l’impression d’être l’unique cible de la colère de Gôbi. Elle grogne de frustration, et s’apprête à repartir à l’assaut à l’aveuglette. Mais soudain, une boule de feu surgit de la gorge de l’homme aux cheveux noirs. Mieux encore, le feu lui dévore le corps. Mais pas question pour la jeune fille de rester en-dehors de ce combat prometteur. Elle dégaine enfin sa lourde épée. Tu la reconnais sans mal, je suppose ? Il s’agit du Hachoir, une épée qui t’a appartenu autrefois et a contribué à ta légende. Depuis ta mort, elle est passée de mains en mains, avant de retrouver enfin celles dans lequel coule le même sang que son premier propriétaire. Tu ne pensais tout de même pas qu’elle faillirait à ta réputation d’épéiste légendaire ? Cette fille a une ambition folle. Elle a dans l’idée de raser un village entier rien que pour te venger, c’est te dire ! Et cette épée, c’est en quelque sorte sa botte secrète. C’est une arme qui tranche la tête des gens avec une incroyable facilité ; et pourtant, elle ne s’en sert que rarement. Avec cette lourde épée, elle ne tue que des adversaires qui en valent la peine. Ainsi armée, elle se jette sur le démon à cinq queues, prenant un sinistre plaisir à lui découper la chair. Un sang clair, presque transparent, jaillit de la plaie. On pourrait penser que la jeune fille est bien trop chétive pour manier correctement une arme d’une telle masse. Mais elle a bien appris à s’en servir. Aujourd’hui, cette épée est tout comme un prolongement de son bras. Alors tu ne seras pas surpris de la voir enchaîner les coups à une vitesse prodigieuse. Elle profite de la lueur des flammes pour lui infliger le plus de dommages possible.

Et puis c’est soudain le noir.

La voûte vibre plus que jamais, semant des roches poussiéreuses un peu partout. Fuku recule aussitôt, cherchant à se protéger. Un caillou plus aventureux que les autres la blesse à l’arcade sourcilière. Machinalement, elle passe la main sur la blessure pour essuyer le sang qui en coule. Et elle suspend brutalement son geste. Suspicieuse, elle inspire lentement. Ses narines tressaillent, sa peau se recouvre de chair de poule. Son corps ne peut pas la tromper, elle connaît trop bien cet élément. Il a fait partie de son enfance. De la brume. Voilà ce qui s’étend au sien de la caverne. De la vapeur tiède qui se répand comme un nuage de velours, étouffant et annonciateur de mort. Ça ne fait aucun doute. Le démon est probablement en train de libérer une partie de son pouvoir. Il passe à l’offensive à son tour. Et aucun des deux assassins ne sait trop à quoi s’attendre.

Fuku redresse la tête, en alerte. Elle bloque sa respiration, attentive à ce qui se passe autour d’elle. Tout était déjà noir autour d’elle, impossible de voir ses pieds. Avec autant de vapeur libérée d’un seul coup, l’homme qui combat à ses côtés ne pourra pas invoquer de nouvelle boule de flammes pour éclairer la caverne. Et les éclairs jaillissant des mains de la jeune fille seront tout à fait amoindris. Le nuage de brouillard se fait plus compact, tel un dangereux nid de coton. Tous ses sens en éveil, la jeune fille tente de deviner ce que prépare sa proie. Et son cœur se met à tambouriner plus fort lorsqu’elle comprend enfin que son ouïe est dangereusement diminuée. La brume cotonneuse étouffe les sons des alentours. De telle sorte que la jeune tueuse ne peut plus compter sur son ouïe pourtant développée. L’obscurité paralyse sa vue, la vapeur se charge de limiter ses capacités auditives et olfactives. La jeune fille tressaille en comprenant que la bête vient de lui tendre un piège. Heureusement pour elle, le brouillard, ça la connaît. Il en faudra un peu plus pour la prendre par surprise.

- Fuuton ! Daitoppa ! murmure-t-elle.

Le vent se lève et se met à tournailler tout autour d’elle. La vapeur étouffante s’en retrouve chassée, et disparaît progressivement. Mais il est déjà trop tard. La mâchoire du démon claque avec violence, sectionnant au passage la main gauche de la jeune fille. Sa réaction enflammée ne se fait pas attendre. Elle hurle de douleur et de frustration. L’autre ordure vient de lui croquer la main. Elle a ramené de nombreuses cicatrices de certains combats particulièrement musclés ; mais jamais encore elle n’avait ressenti une telle douleur. La coupure est précise et nette, et le sang jaillit de toutes parts. D’habitude, c’est elle qui se livre à des jeux macabres avec ses victimes. C’est elle qui arrache des doigts, coupe les têtes, perfore les poumons, sème les dents de ses adversaires. Jamais elle n’aurait imaginé qu’on puisse lui couper la main aussi facilement. Elle hurle encore, s’égosille toujours, déballant un incessant flot de jurons. Comme si ses injures sans queue ni tête pouvaient l’apaiser. Elle combat violemment les larmes de douleur qui nimbent ses yeux, menaçant de couler à tout moment. Mais rien n’y fait, la souffrance se fait trop ressentir. Son cœur continue de pulser plus violemment encore dans sa poitrine, et le sang s’écoule de son moignon comme une cascade vermillon. Soudain, elle pousse un hurlement strident, bien plus puissant que les autres. Elle s’arracherait les cheveux si elle le pouvait. Mais sa dernière main valide refuse de lâcher son poignet dégoulinant. Elle perd la raison. Elle commence à sombrer. Comme nombre de personnes en situation désespérée, elle perd le peu de contrôle qu’elle exerçait encore sur elle-même. Son instinct surdéveloppé va prendre le dessus. Ce n’est plus une humaine qui combat une énorme bête ; c’est un affrontement musclé entre deux démons affamés de chair fraîche.

L’odeur de son propre sang lui obstrue les narines, et l’empêche de retrouver la trace du monstre. Mais elle n’en aura pas besoin pour le moment. Les sons qui lui parviennent sont amplement suffisants. Gôbi s’est mis à siffler comme une bouilloire en colère, et libère une quantité de vapeur de plus en plus importante. De sa main valide, Fuku se saisit de son épée, et repart à la charge. Elle n’a aucun mal à atteindre sa cible, aussi mouvante soit-elle ; le sifflement strident qu’elle émet n’est pas des plus discrets. Le bloc d’acier tranche sans problème l’épaisse peau rugueuse du démon, intensifiant sa colère. D’un coup de queue, il chasse l’insecte qui ose le déranger. Et se venge sur celui qui est resté à sa portée. Car l’homme aux cheveux d’ébène n’est pas resté sans rien faire durant tout ce temps. Lui aussi a largement pris part au combat. Usant de son chakra, peut-être à outrance, il n’a pas laissé au monstre une seule minute de répit. Ses attaques, plus réfléchies que les assauts de sa compagne, ont été bien plus efficaces. Il a réussi à affaiblir la bête, qui n’a rien trouvé de mieux pour se défendre que de libérer sa puissance phénoménale.

Fuku se redresse aussitôt. Alors qu’elle se lance à nouveau en direction de l’animal, un craquement sonore se fait entendre. Le bruit des os qu’on écrase sans ménagement résonne dans toute la grotte. Un grognement sourd et étouffé l’accompagne, dernier soupir d’Usuka Kamada. Puis, plus rien. Pendant quelques secondes à peine. Comprenant qu’elle ne peut plus compter que sur elle-même pour se sortir de cette impasse, notre jeune tueuse décide de mettre les bouchées doubles. Elle prend son élan et assène un coup unique au démon face à elle. La lame pénètre la chair, s’enfonce plus profondément encore à mesure que la jeune fille appuie sur le manche. Elle est résolue à ne pas lâcher l’affaire. Bien décidée à ne pas s’arrêter tant que son épée n’aura pas eu raison du monstre, c’est Gôbi qui se charge de la chasser, ondulant son corps dans tous les sens jusqu’à ce qu’elle lâche enfin prise. Avant même d’avoir touché terre, la queue de feu du démon vient cueillir la jeune fille, embrasant son éternelle cape aux couleurs noir et rouge. Après un incroyable vol plané, Fuku termine sa course dans l’étendue d’eau mystérieuse qu’elle avait repérée peu avant. L’eau se colore de rouge au contact de son moignon sanglant. Les flammes s’éteignent aussitôt, et la vapeur qui en ressort rejoint le nuage de brouillard déjà présent. Si le démon continue à produire de la vapeur, l’air saturé d’humidité va bientôt affaiblir ses offensives de feu. Et cette perspective n’échappe pas à Fuku, dont le cerveau en ébullition ne cesse de fonctionner pour se mettre à jour. Elle décide alors d’en profiter au maximum. Usant de nouveau de son puissant chakra, elle fait sortir de l’eau des entrailles de la terre. Le sol tremble, et, sous ses pieds, des vagues percent le sol rocheux. Elle laisse ainsi plusieurs litres s’écouler. L’eau, c’est son élément. Elle est sûre d’elle. Elle peut y arriver. C’est sa chance. C’est maintenant ou jamais.

Seulement, elle semble avoir oublié un important détail. Le démon maîtrise, quant à lui, les cinq éléments de base. Si le feu se retrouve inefficace en de telles conditions, ce n’est pas le cas de l’électricité, que Fuku pensait utiliser à son avantage. Mais le démon est plus rapide qu’elle. Il comprend rapidement où la gamine veut en venir. Et c’est comme si elle avait elle-même creusé sa propre tombe. Il n’a qu’à abaisser la queue pour qu’elle effleure la marée montante. C’est d’une grandiose simplicité. Aussitôt, un intense courant électrique parcourt la surface de l’eau, en direction de sa source. Les éclairs d’une douloureuse blancheur déchirent la noirceur des lieux, aveuglant notre jeune combattante. L’attaque ne la prend qu’à moitié par surprise. Elle cesse aussitôt d’invoquer des trombes d’eau et, se fiant à son instinct hors du commun, prend le monstre de vitesse et invoque un solide bouclier de vent. Un simple mur tourbillonnant, peu résistant, mais qui lui accorde les quelques secondes de répit dont elle a besoin.

La bête relâche toute sa puissance. Les éclairs fendent les rochers en travers de leur chemin. Ils lacèrent l’obscurité. Et, pour la première fois, Fuku regarde la bête droit dans les yeux. Elle ne cille pas, ne se défile pas. Elle soutient sans effort le regard de ces trous abyssaux qui la dévorent presque littéralement. Elle distingue clairement sa face animale, mi-dauphin, mi-cheval, tordue en un rictus étrange. Sa gueule ouverte ne cesse de libérer des flots de vapeur qui lui masquent la vue. Alors, s’il faut agir, c’est maintenant ou jamais.

- Raiton ! s’écrie la jeune fille, sentant ses forces s’amoindrir. Jibashi no Jutsu !

Il s’agit plus ou moins de la même technique que celle du démon. Un raz de marée d’éclairs se lance en direction de l’animal, se mêlant à ceux qui proviennent de sa queue. Le grésillement des deux électricités mêlées forme une douloureuse cacophonie qui s’élève dans l’air humide. Les cheveux de la jeune fille se frisent. Mais c’est bien le dernier de ses soucis. Elle intensifie la puissance de son propre pouvoir, en même temps que le démon fait de même. Le concert électrique détruit tout. Les rochers n’y résistent pas, et volent en éclats tranchants. Immobile au milieu de l’étang, la tueuse de l’Akatsuki ne peut éviter les projectiles mortels. Des pierres se fichent dans ses jambes fines. Trop concentrée sur le face à face, elle ignore la douleur et les filets de sang qui s’écoulent le long de sa chair. Leur odeur lui emplit pourtant les narines, tout autant que celle de son poignet meurtri. Sa personnalité meurtrière s’éveille, et ses veines pulsent soudain d’un violent accès d’adrénaline. Refusant de se laisser aller, elle redouble d’efforts. Ses gémissements lui permettent de rester concentrée, et de ne pas relâcher la puissance de son chakra. Mais ses nombreuses blessures l’épuisent plus qu’elle n’en a conscience. Ses forces commencent à la quitter, lentement mais sûrement. Alors, elle anéantit ses propres éclairs, au profit d’un bouclier protecteur. La foudre du démon s’abat sur les parois, faisant trembler l’arène. Résistant, le bouclier ne cède pas. Mais ça ne durera pas longtemps. La jeune fille profite des quelques minutes mises à sa disposition pour concentrer tout ce qui lui reste de chakra. Elle concentre ses dernières forces en un même point de son corps. D’un naturel peu patient, elle attend pourtant. Sagement. Protégée derrière un bouclier qui s’efface peu à peu. La barrière menace de voler en éclats à tout instant. Mais ce n’est pas encore l’heure. Bientôt. Pas encore. Attendre, encore un peu. La jeune fille plonge son regard dans les yeux de monstre face à elle. Et ne le quitte pas des yeux. C’est sa dernière chance.

Le bouclier s’effondre sans demander son reste. Tout se joue en un quart de seconde. Sans même donner une chance aux éclairs adverses de la prendre par rapidité, Fuku relâche la pression. Entièrement. D’un seul coup.

- Raiton, Raibakuhatsu no Jutsu !

La déflagration qui s’ensuit couvre largement son hurlement. Son corps semble exploser, tout comme les résidus de roche autour d’elle. L’étang se vide de son eau sous la puissance de l’attaque. L’explosion soudaine d’énergie balaye sans mal la foudre de l’adversaire. Le monstre reçoit le choc de plein fouet, et s’écroule par terre, poupée de chiffon brisée. Mais les éclairs projetés par la bête n’ont pas tous été stoppés. Leur puissance, amplifiée par l’importante quantité d’eau présente, achève la jeune fille. Elle s’effondre, brisée. La douleur du choc se fait ressentir dans le moindre de ses os. Etendue sur le sol trempé, elle est incapable de bouger. C’est qu’elle a à peu près autant d’énergie et d’esprit qu’une coquille vide. Et pourtant, une dernière flamme la pousse à se battre. Elle n’en a pas fini. Pas encore. Elle n’a pas fait tout ça pour rien. Elle n’a pas risqué sa vie pour laisser une seconde chance à ce monstre.

L’énergie du désespoir la pousse à se relever. Lentement, péniblement. Elle ne tient plus sur ses jambes, comme paralysées. La décharge qu’elle a reçue aurait dû lui être mortelle. A quel diable a-t-elle vendu son âme pour être encore capable de ramper ? Elle n’a même plus conscience de ce qu’elle fait. C’est comme si son corps était animé d’une vie propre. Comme si sa carapace corporelle demeurait, alors que son esprit avait déjà rejoint l’autre monde. Autrement, elle se détesterait. Elle détesterait se voir ainsi ramper devant son adversaire, la tête trop lourde pour le regarder en face, ses membres dépourvus de force qu’elle traîne comme autant de boulets. Elle se traîne ainsi aux pieds du démon à cinq queues, énorme masse blanche toujours affaissée par terre. Il gémit, grogne, et son estomac se soulève encore au rythme de sa respiration. Il n’est qu’assommé, et reprendra bientôt ses esprits. Fuku sait qu’elle ne peut pas lui accorder ce luxe. Véritable zombie, elle se saisit d’un simple kunai. Elle n’a même plus la force de manier son épée. Elle fixe longuement la gorge du démon, à découvert. Il serait si simple de la lui trancher… Mais on l’a bien mise au courant des choses à ne pas faire. Dont la plus importante était de ne pas revenir avec un cadavre sur les bras. Elle étudie avec attention cette gorge qui lui semble offerte. Et lâche son kunai à un endroit bien précis. Le monstre se cabre, suffoque. Mais ne meurt pas. Une technique bien connue de la gamine. Ne pas atteindre les points vitaux de l’adversaire permet de le garder en vie plus longtemps, et de jouer avec.

- Tu te sens baisé, gros tas de putain de merde ? Tu l’es. Bien profond.

Sur ce, elle se laisse glisser le long de l’imposant corps démoniaque. Elle laisse sa tête reposer sur son flanc. Inutile d’essayer de combattre l’horrible désir de fermer les yeux qui la tenaille. Elle porte doucement la main à son cœur. Elle peut le sentir tressauter de temps à autres. Est-ce parce qu’elle a des absences, ou parce que son petit organe vital a clairement décidé de l’abandonner ? Ses paupières retombent lourdement sur ses globes oculaires. Elle respire encore, mais elle a l’impression que ses poumons ne captent plus d’air du tout. Ils sont vides et pleins à la fois. Ils la brûlent de l’intérieur. Alors c’est ça, mourir ? Sentir son corps tout entier se décomposer sans pouvoir rien y faire ? Se regarder perdre toute conscience du monde ? Croupir seul au fond d’une caverne méconnue de tous ?

Sa tête bascule un peu plus encore sur le côté. Un sourire niais tord son visage. La bête derrière elle, elle s’en fiche. Ses comparses viendront certainement la récupérer. Et peut-être aussi son corps, par la même occasion. Elle n’y pense pas. Ce n’est plus de son ressort. Non, ses dernières pensées sont tournées vers toi. Toi qui es déjà là-haut. Elle aurait peut-être dû se sentir terrassée par la honte et le remords de n’avoir pas pu accomplir le but qu’elle s’était donné pour survivre. Te venger. Redorer ton nom, qui est également le sien. Perpétuer la légende des démons Momochi. Mais elle ne ressent plus rien. C’est tout juste si sa poitrine se soulève encore pour lui permettre de vivre ses derniers instants. Et de toute façon, elle n’a pas à se sentir honteuse, n’est-ce pas ? Elle aura finalement accompli un travail formidable. Bien plus que ce qu’on aurait pu en attendre d’elle. Elle est la preuve encore vivante que le talent n’attend pas le nombre d’années. Malgré son peu d’expérience, elle n’a jamais baissé les bras. Envers et contre tous, elle s’est battu pour son idéal à elle, reniant toutes les autres valeurs que la vie apprend à ceux qui souhaitent rester sages. A ceux qui préfèrent survivre plutôt que de profiter de la vie. Elle est bien ta sœur. D’une ambition dangereuse. Cruelle, sadique, et un peu folle sur les bords, ce qui ne l’a jamais empêché d’aimer. De t’aimer, toi. Toi qu’elle n’a jamais connu. Les choses auraient été tellement différentes, si tu avais pu être à ses côtés pour la voir grandir. La vie en aurait été autrement pour vous deux. Elle n’aurait peut-être pas été la petite démone surexcitée sur laquelle tu as veillé jusqu’à aujourd’hui. Une tâche qui ne devrait plus trop t’encombrer désormais. La lignée des Momochi s’éteint, en même temps que cette jeune fille pousse son dernier soupir.

Une dernière idée folle lui traverse l’esprit avant qu’elle ne rende l’âme. Est-ce que, malgré son cuisant échec et les années trop nombreuses qui se sont écoulées, tu l’attends encore, là-haut ? Est-ce que vous allez pouvoir vous retrouver enfin, après tout ce temps ? Est-ce que tu veilleras encore sur elle, une fois qu’elle sera à tes côtés ?

Seras-tu le frère qui lui a tant manqué ?

FIN DU RP.