Le Papa de la Lune ~~ Raito Tsukiyo

- Enfin te voilà, c'est pas trop tôt.

- Comment ça c'est pas trop tôt ? J'avais d'autres choses à faire moi, j'ai une vie à côté au cas où tu l'aurais oublié...

- Certes, mais j'ai pris vingt ans moi en attendant, donc il va falloir que tu te remettes fissa au boulot pour rattraper tout ça. J'ai pas été cryogénisé monsieur, j'ai fait plein de choses durant ces années et tu vas t'empresser de partager tout cela avec les lecteurs je te prie.

- Tu n'as pas tort... Mais parle moi sur un autre ton, je te rappelle que c'est moi qui ai la main sur tes aventures... Et je peux me révéler très imaginatif si tu vois ce que je veux dire.

- Essaie seulement espèce de ...... de ton ..... dans la ..... de .....

Je refermai le livre d'un mouvement sec, me demandant encore ce que je venais de lire. Je ne sais pas ce qu'avait consommé l'auteur avant de coucher cela sur les pages de papier parcheminé, mais ce ne devait pas être tout à fait légal... Je le reposai à son emplacement, sur l'étagère du bas, réservée aux ouvrages que je n'avais pas encore lus, dont l'auteur était inconnu ou qui ne revêtaient pas un caractère prioritaire. Ici, chaque chose avait sa place. Les livres plus que toute autre. Au fil des année, j'avais pu amasser une collection plutôt imposante d'ouvrages variés, allant du conte pour enfants à des réflexions poussées sur des sujets divers tous plus intéressants les uns que les autres. Depuis que j'étais revenu dans l'ancienne demeure de mon grand père, je n'avais pratiquement occupé mon temps qu'à l'étude des textes ou de la gymnastique mentale. Je ne négligeais certes pas l'entraînement physique car à mon âge si l'on voulait garder le niveau il fallait entretenir ses capacités mais je n'étais plus à la recherche d'un pouvoir plus grand. A vrai dire, je n'étais plus à la recherche de grand chose. Je repensai vaguement au passage que je venais de lire. Vingt ans... où en étais-je il y a vingt ans ? Certainement pas au même point qu'aujourd'hui, réduit à feuilleter des ramassis de stupidités de grands hommes prétentieux désireux de prouver au monde entier qu'ils étaient plus intelligents que la masse. Il y a vingt ans, j'avais des projets, de l'ambition, un but... Autre chose que celui qui me poussait aujourd'hui, à savoir tenir à jour mon misérable journal, rempli depuis bien trop longtemps dune sempiternelle routine. Le nouveau né sans village devenu ninja, le ninja devenu membre d'une organisation secrète ayant pour objectif de renverser le monde, le conspirateur devenu voyageur à la poursuite d'une chimère, le voyageur devenu un ermite miteux et rabougri. Comment en étais-je arrivé là ? Je ne m'en souvenais plus. Un enchaînement d’événements qui avaient conduit à d'autres situations qui avaient débouché sur un retour prématuré de Raito Tsukiyo le vendeur de livres à l'esprit torturé à la niche. Coucouche panier, t'as assez mis le souk comme ça. Le petit-fils prodigue est revenu dans son berceau chercher l'emprise réconfortante des murs l'ayant vu grandir. La boucle était bouclée, toute une vie de vadrouille pour au final revenir à son point de départ en n'ayant rien accompli... Le monde était toujours sous le joug des villages Shinobis, tous plus sournois les uns que les autres dans leur recherche du pouvoir. Le temps était compté avant qu'une nouvelle guerre n'éclate pour une raison plus stupide encore que les précédentes. Un pont situé sur la frontière entre deux pays, un conflit d'intérêt vis à vis de telle ou telle marchandise, un examen commun qui tournerait au vinaigre... Il y avait une infinité de motifs suffisants pour déclarer une guerre. Tant que le pouvoir serait divisé en un nombre trop grand d'entités, il y en aurait une pour vouloir s'emparer de celui des autres. Et au final c'étaient toujours les mêmes qui trinquaient. Les subordonnés qui se lançaient aveuglément dans la bataille, exécutant les ordres de ces chefs qu'ils ne verraient jamais. Ces quasi divinités pour le cas de Kiri qui œuvraient évidemment pour le bien de leur peuple, en l'envoyant au massacre. Leurs mains à tous étaient salies du sang d'innocents ayant péri pour satisfaire leur soif démesurée de pouvoir. Et tôt ou tard ils auraient des comptes à rendre.

* Mais pas à moi *

Pas à moi... J'avais laissé filer ma chance alors que j'avais toutes les cartes en main pour mettre en branle ce projet démesuré. Akatsuki aurait dû être l'endoctrinement des masses. Elle aurait dû enfin apporter une alternative crédible à tous ceux qui avaient choisi de se libérer de leurs entraves étatiques et étaient traités comme des moins que rien, des cibles à abattre, alors que leur seul crime avait été de rejeter cette sinistre mascarade. Seulement voilà, encore une fois mes vieux démons s'étaient rappelés à mon bon souvenir, et cette chance avait filé. Notre chef avait mystérieusement disparu, abandonnant à son sort l'organisation et ses membres. De tous ceux-ci, je n'en avais rencontré qu'un seul, un certain Tsukku Haka, un jeune homme avec une personnalité très forte et très déterminé. Il me ressemblait beaucoup et partageait les mêmes ambitions que moi. Nous avions également la même philosophie au combat et en cela j'avais énormément apprécié notre petite escapade au pays du ciel. Malheureusement, je ne l'avais jamais recroisé, même après mon retour du pays de la neige. Peut-être était-il mort, peut-être vivait-il reclus en ermite comme moi, peut-être préparait-il encore un plan de bataille ou se consacrait-il à rebâtir une organisation de l'ampleur d'Akatsuki. Je n'en savais rien et il y avait peu de chances que nous nous recroisâmes un jour. Et ce n'était pas en restant cloîtré ici que j'allais augmenter la probabilité d'une telle rencontre. Mais cela me convenait, je l'avais accepté. Ou du moins tentais-je désespérément de m'en convaincre. J'avais fait ce que j'avais pu ou avais essayé. J'avais commis des erreurs certes mais je ne devais rien regretter. Tu parles oui. J'avais tout foiré du début à la fin. Voila ce qui arrivait lorsque l'on perdait de vue son objectif pour une autre cause. D'autant plus une cause vouée à l'échec dès le départ. Jamais je ne reverrais ces grands yeux violets. Je devais me faire une raison, elle n'était plus de ce monde. Ma quête était vaine, perdue d'avance, destructrice. Mais je n'y arrivais pas. Et chaque fois que je parvenais à rebondir, je rouvrais inconsciemment la porte à ces espoirs chimériques qui finissaient tôt ou tard par me dévaster encore et encore...

Un gargouillis soutenu me tira brusquement de ma mélancolie. Il se faisait tard et je n'avais rien mangé depuis la veille. Je me dirigeai donc vers l'espace cuisine et découpai quelques morceaux de racines et de champignons que je rajoutai à la marinade de poivrons que j'vais préparée la veille et qui reposait depuis, attendant sagement sa dernière heure. Une image fugace traversa mon esprit mais je la balayai rapidement. Se comparer à une marinade de poivrons n'avait vraiment rien de flatteur. Une fois mon repas englouti, j’enflammai les bûches à moitié consumées disposées dans l'âtre de la cheminée et m'installai à proximité muni de ce qui constituerait ma lecture du soir. C'était un livre très épais, sa couverture d'un noir très terne portait les nombreuses marques laissées par le temps et les voyages. Elle était écornée et la tranche commençait à effilocher tandis que les pages étaient jaunies et se rigidifiaient. Sur la première de couverture, en position centrale était inscrit le mot "Destin", calligraphié en lettres d'or. Après toutes ces années il ne m'avait pas quitté et je continuais de le remplir fidèlement, laissant mes mémoires à la postérité si tant est que quelqu'un y trouve un quelconque intérêt, moi-même mis à part. Vingt ans avait-il dit... Et je tournai les pages du livre jusqu'à tomber sur cette fameuse mission au pays de la neige, en tant que membre d'Akatsuki, une vingtaine d'années auparavant.



Cette mission avait été un véritable calvaire. Ce pays était aussi froid qu'un cadavre et la beauté des paysages n'avait pas contribué à rendre cette escapade plus aisée. Si ce n'est en influant légèrement de manière positive sur mon moral. Retrouver les corps du tyran déchu du pays de la neige et ses complices n'était pas une mission de débutant et j'allais avoir besoin d'un certain temps pour mettre la main dessus. Tout ceci ne m'arrangeait que peu. J'avais besoin de temps pour m'entraîner, acquérir plus de force. Mon escarmouche avec Tsuku m'avait laissé entrevoir que j'étais encore loin de pouvoir rivaliser avec toutes les puissances en action sur le plan mondial et si je voulais pouvoir peser dans la balance je devais travailler dur. Bien sûr faire les preuves au sein d'Akatsuki était la priorité absolue mais au retour de cette mission il faudrait que j'avise notre chef de la nécessité pour moi d'avoir un peu de temps avant la prochaine mission. C'était perdu dans mes pensées que je m'étais retrouvé face au petit village que je cherchais. Il était installé dans le creux d'une petite vallée, à l'abri des vents glaciaux qui soufflaient sur les plaines d'altitude et aux abords d'un lac qui résistait tant bien que mal aux assauts de la glace. Je mis une demi journée à le rejoindre et me retrouvai à la porte de l'auberge que je cherchais à la nuit tombante. Elle n'avait pas changé depuis mon dernier passage. La pancarte ornée d'un loup hurlant à la lune oscillait toujours sur ses gonds au rythme du léger courant d'air qui s'infiltrait dans la rue. Je poussai la porte et fus soulagé de constater que le tenancier était toujours fidèle au poste, lisant comme à son habitude en sirotant son thé chaud. Il me reconnut au premier regard et m'invita d'un hochement de tête à m'installer au comptoir. Nous échangeâmes quelques banalités et alors que j'allais en venir au fait qui m'amenait, il me prit de court en me dévoilant une toute autre information, pour le moins inattendue.Une jeune femme aux yeux d’améthyste avait été aperçue dans les environs de la bourgade il y avait de cela un an. Je m'étais alors figé sur place.
Ainsi elle était encore vivante... Et elle était venue par ici. Pour quelle raison il n'en savait rien, mais cette information était déjà inespérée. Elle s'en était tirée et poursuivait un objectif encore inconnu. Mais le seul fait de la savoir en vie m'avait redonné l'espoir de la retrouver un jour. Notre histoire n'était pas terminée, et ne pouvait pas en rester là où elle s'était arrêtée. Je la retrouverais. Mais je ne pouvais pas me détourner de ma mission pour le moment. J'avais enfin trouvé une alternative à la politique mondiale actuelle et étant désormais moi même un de ses instruments je me devais d’œuvrer dans son sens en laissant de côté mes objectifs personnels. Pour le moment du moins. Le bien être de tous ces malheureux passait bien avant le mien. Notre objectif final était bien trop important pour le sacrifier à une quête qui malgré le récent rebondissement restait somme toute sans grand espoir.
Je demandai donc à mon interlocuteur les renseignements que j'étais venu chercher en première instance et il ne me déçut pas. Les information qu'il me délivra allaient me permettre de grandement progresser dans ma quête et gagner un temps très précieux. Je le remerciai et nous entamâmes une dégustation de sa réserve de sakés réputés. C'est légèrement goguenard qu'il me conseilla de passer la nuit dans son établissement et de reprendre ma route le lendemain. Je suivis son conseil avisé, n'étant pas réellement en état de poursuivre ma route après avoir ingéré autant d'alcool. La montée des marches à elle seule allait constituer une épreuve de taille et je n'étais pas tout à fait sûr non plus de parvenir à me glisser dans mes draps. Cette soirée avait été riche en émotions, et j'en avais profité plus que de raisonnable. Mais quelque chose en moi me disait qu'il fallait que je profite au maximum de ces moments car je n'allais pas en avoir d'autres avant longtemps.

- Et tu n'avais pas tort vieille raclure...



Je déposai mon journal sur le sol et me dirigeai vers la cave pour en remonter une bouteille d'un whisky très rare qu'un client m'avait donné un jour en échange d'un pavé ennuyeux au possible traitant des courants marins et d'autres mystères aquatiques qui n'avaient que très peu éveillé ma curiosité. Le monde recèle certes de nombreux mystères mais ceux-ci je les lui laissais. Pour le moment du moins. Toujours est-il que ce breuvage provenait d'après ses dires d'une petite île par delà les mers. Ils le distillaient depuis des générations et celui-ci était un "sans âge". Il avait été conservé en fût des années durant pour lui donner la saveur qu'on lui connaissait aujourd'hui. Du moins les rares privilégiés qui avaient pu y goûter. Cette bouteille faisait en effet partie d'un lot qui avait été offert en cadeau de bienvenue au marin car très rares étaient les visiteurs pour ce peuple insulaire. Je m'en remplis un verre entier et retournai m'asseoir à côté du feu. Le parfum enivrant du nectar ambré parvint progressivement à mes narines. Je portai le verre à mes lèvres et pris une longue gorgée. Je sentis le liquide enflammer mon œsophage à mesure qu'il descendait vers mon estomac. Divin. Cela faisait une éternité que je ne m'étais accordé un tel plaisir. Me replonger dans le passé avait quelque peu chamboulé mon simulacre de paix intérieure. Je repris une gorgée et repensai à ce qui était arrivé à la suite de ma mission.

Trouver les corps n'avait pas été une mince affaire mais j'avais tout de même réussi à en prendre possession sans trop faire couler de sang. Seul un petit groupe de gardiens mal entraînés avait tenté de me barrer le passage et je m'en étais débarrassé sans trop de problèmes. Ils guériraient rapidement et pourraient se trouver une nouvelle affectation. Seulement une surprise m'attendait au repaire. Celui-ci était désespérément vide. Les quelques tentatives que je fis pour entrer en contact avec notre chef restèrent vaines. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il se passait, mais je profitai de l'occasion pour m'accorder ce congé que je voulais quémander. Je déposai les corps sur le sol de façon à ce qu'ils soient bien visibles et ressortis à l'air libre. Mon programme était clair. J'allais regagner la cabane de feu mon grand père afin de m'entraîner pour gagner en puissance, puis je repartirai à sa recherche. Une fois ma quête achevée, je viendrai reprendre ma place dans l'Akatsuki.
Plutôt sympathique sur le papier... Mais comme l'on aurait pu s'en douter, tout ne s'était pas passé comme prévu. J'avais pu réaliser mon entraînement sans encombre, seul et déterminé J'en avais même profiter pour rendre une rapide visite à mes parents qui se portaient bien, toujours fermement décidés à finir leurs jours reclus. C'est lorsque que je suis parti à sa recherche que les choses ont commencé à dérailler. Pour finalement déboucher sur ce que nous connaissons désormais. Une Akatsuki dissoute, son chef disparu et ses membres éparpillés aux quatre coins du monde connu, introuvables. Une situation mondiale inchangée bien que paisible en surface et moi, avec pour seule compagnie mes regrets. Incapable de quoi que ce soit si ce n'était m'apitoyer sur mon sort, penser à ces choses que j'aurais pu faire ou ne pas faire, ce que j'aurais pu changer, cet avenir que je n'aurais pas... Et toujours ces foutus grands yeux violets.

- Takada...

Je devais arrêter de subir. Il était temps pour moi de reprendre ma vie en main et de donner une nouvelle dimension à mes ambitions. La solution se trouvait quelque part, dehors, et non pas dans cet amas de bouquins. Vivre à travers l'expérience des autres n'était pas le destin auquel je devais aspirer. Destin... je tournai les yeux vers mon journal posé à mon côté, me narguant de son relief doré sur lequel se reflétaient les flammes dansantes du feu encore ardent de la cheminée. Feu...
Tout s'enchaîna rapidement. Je vidai d'une traite mon verre encore à moitié plein et l'envoyai se briser contre le mur. Je me relevai, pris quelques ouvrages, mon journal, quelques vivres et amenai tout cela au dehors. Je saisis ensuite une torche que j'embrasai et la déposai sur l'étagère centrale de la bibliothèque. Une fois dehors, je pris un peu de distance et m'assis, regardant les flammes commencer à gagner en puissance et en hauteur pour finalement s'attaquer aux murs de mon ancienne demeure. Je restai là, silencieux, la gorge nouée, jusqu'à ce qu'elle fut entièrement consumée. Une fois cela fait, j'éteignis les flammes récalcitrantes afin que le feu ne se propage pas au bois alentour, saisis mes affaires et me mis en route. Vers quoi, je n'en savais rien. Mais une chose était certaine, le monde allait faire la connaissance du dernier de Raito Tsukiyo, vendeur de livres de son état. Quelque part, un hibou grand duc prit son envol, s'élevant dans la clarté de cette nuit de pleine lune.