Une nouvelle vénéneuse

Shizuka regardait la dépouille de sa mère de ses yeux gris perçants, sous les regards interrogateurs du personnel de la morgue. Personne n’avait compris la requête de la jeune femme. Depuis que sa mère était morte, Shizuka n’avait pas montré la moindre émotion ; ni lorsqu’elle avait constaté le décès de sa mère, tuée par un inconnu au beau milieu de la forêt, ni lorsqu’ils avaient amené son corps, ni lorsque qu’elle avait demandé à en faire l’autopsie.

-Laissez-moi, dit-elle d’un ton sec et froid.

Surpris, le médecin légiste et les deux assistants se regardèrent un moment avant d’obtempérer. Ayant entendu les derniers grincements de la porte battante, la jeune femme soupira longuement en tentant de contenir les larmes qui lui montaient aux yeux.

*Ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer,* se dit-elle.

La jeune femme se secoua la tête, puis fronça les sourcils, décidée. Elle enfila un tablier, empoigna un scalpel et se mis à entailler le torse de manière longitudinale d’une main tremblante. De tristesse, certes, mais aussi de fatigue d’avoir dépensé une grande partie de ses réserves de chakra à essayer de sauver sa mère. Retirant les organes un à un, elle les pesa et nota ses observations avant de les placer dans des bocaux de formol pour les préserver en attendant de faire ses analyses. Elle prit aussi plusieurs échantillons de sang et de cheveux qu’elle mit au congélateur dans de petits contenants séparés. Une fois qu’elle eut terminé, elle recousu soigneusement les entailles et enleva son tablier taché de sang.

Shizuka observa un moment le visage de sa mère. Paisible, serein, on aurait dit qu’elle ne faisait que dormir. Du revers de la main, elle caressa la joue de celle qui avait pris soin d’elle depuis sa venue au monde, celle qui était sa confidente et sa meilleure amie, celle qui avait donné sa vie pour la protéger. Sentant les larmes venir pour une deuxième fois, elle sortit prestement de la morgue en faisant voler les portes battantes derrière elle. Les employés, qui étaient restés derrière la porte pour essayer d’entendre ce qu’elle faisait, n’eurent d’autre choix que de s’écarter dans un mouvement de panique, de peur d’être happés violemment. En s’éloignant, la jeune femme aux cheveux rouges leur fit un signe de la main.

-Le embaumeurs peuvent s’en occuper, leur cria-t-elle du fond du couloir d’une voix rauque, essayant de masquer son chagrin.


Shizuka, à genoux devant la tombe de sa mère, déversait des torrents de larmes silencieuses en frappant le sol de ses poings. Elle voulait crier, hurler, beugler, mais aucun son ne sortait de sa bouche lorsqu’elle essayait. Elles avaient tellement vécu ensemble, tellement souffert ensemble, ça ne pouvait pas se passer comme cela. C’était impossible qu’elle soit morte. Après tout ce qu’elles avaient traversé. Les épaules tremblotantes, les cheveux hirsutes à force de prendre sa tête entre ses mains, ses mèches mouillées le long de son visage par son chagrin : Shizuka avait d’un chat de gouttière apeuré ne trouvant aucun refuge. Son refuse, son foyer, c’était avec Amane. À cette pensée, les sanglots de Shizuka reprirent de plus belle, mais un rayon de soleil aveuglant la surprit. Ainsi, elle était restée toute la nuit dehors, à genoux dans l’herbe.

*Tu es pathétique,* résonnait dans sa tête avec la voix de son père.

Par réflexe, elle se redressa et essuya ses larmes.

*Pourquoi je t’écoute ? C’est TOI qui l’a tué ! C’est de TA faute si elle est morte !*

Sentant la rage bouillir dans ses veines, Shizuka serra les dents et des larmes, de rage cette fois, lui chatouillèrent les yeux. Un bruit derrière elle la sortit de ses pensées. Elle essuya rapidement ses yeux et replaça sommairement ses cheveux avant de se retourner. C’était Nasuko, un gardiens personnel du Hokage, qui venait régulièrement demander des poisons à Amane. Shizuka entrepris de se lever, mais voyant les taches d’herbe ayant mouillé ses genoux, trahissant qu’elle était restée longtemps devant la pierre tombale, elle préféra rester au sol. La rosée du soir et celle du matin avait rendu ses vêtements humides, la faisant grelotter. Une fois rendu près d’elle, l’homme s’alluma une cigarette, ce qui la fit grimacer.

-Toutes mes condoléances Shizuka…

Shizuka ne savait pas quoi répondre. Qu’est-ce que ça voulait dire, de toute façon, donner ses condoléances ? Elle allait lui répondre sèchement, quand elle se rappela que sa femme était morte l’année suivant son arrivée à Konoha.

-Merci… Se contenta-telle de répondre.

Son regard se voila pendant qu’elle se remémorait cette époque et un long moment passa.

-Est-ce qu’on s’en remet un jour ? Dit-elle avec le plus de détachement possible pour éviter de montrer sa tristesse.

Nasuko s’agenouilla auprès d’elle et éteignit sa cigarette, ce qui fit plaisir à Shizuka. Elle ne comprenait pas pourquoi les gens voulaient délibérément s’empoisonner. Néanmoins, elle respectait cet homme à la carrure imposante qui les avaient toujours traitées dignement, contrairement à certains autres membres du village. Lorsqu’il s’adressa à elle, la jeune femme tourna la tête vers lui pour le fixer de ses yeux gris.

- Je dirais plutôt qu’on apprend à vivre avec. Mais ta maman restera toujours dans ton cœur. Dit-il en posant la main sur sa poitrine, que Shizuka ne put s’empêcher d’imiter. Je sais ce que tu ressens en ce moment… Les prochains jours seront difficiles. N’hésite pas à venir me voir si tu as besoin de quoi que ce soit. Ta maman était vraiment quelqu’un de bien.

À ces mots, la frêle jeune femme serra sa chemise de sa main posée sur son cœur et baissa la tête. Elle y resterait toujours, quoi qu’il arrive. Toutes ces épreuves traversées n’avaient pas servi à rien. Shizuka avait grandi avec elles, mûrit avec elles. Logiquement, elle ne devrait pas être si triste, pourtant elle sentait qu’une part d’elle-même était morte ce jour-là. Des larmes commencèrent à lui embrouiller la vue.

- Tu n’es pas seule Shizuka, ne l’oublie pas. Dit-il avant de se relever.

Levant ses yeux embués vers lui, Shizuka esquissa un sourire, ce qui n’était pas dans ses habitudes.

- Merci, Fukuda-san, répondit-elle d’une voix douce qui ne lui ressemblait pas.

Elle frissonna, trempée jusqu’aux os, mais le soleil lui réchauffa le visage. Entre les nuages, il prenait des reflets pourpres et roses, semblable à une fleur sur le point d’éclore. Shizuka se leva à son tour, secouant ses pantalons pour y enlever l’herbe et la terre qui y étaient restés accrochés, et aperçut la rose que tenait Nasuko entre ses mains.

- Elle adorait les roses… Se remémora-t-elle.

Shizuka observa Nasuko déposer la fleur sur la pierre tombale et se demanda dans combien de temps elle se fanerait : deux, peut-être trois jours. Elle se promit donc de venir de temps à autre déposer des plantes que sa mère appréciait, et par le fait même en profiter pour se recueillir sur la tombe. Amane Fumetsu, pouvait-on y lire, gravé en lettres carrées dans la pierre. Étrange, tout de même, qu’elle ait décidé d’appeler sa fille du nom de Gakumon, le nom du père de Shizuka. Amane avait pourtant appris à sa fille toutes les techniques du clan Fumetsu, ayant hérité du Dokuton, elle aussi.

*Je me demande si le clan est au courant, à Kumo…* Pensa-t-elle.

- Et si tu venais chez moi aujourd’hui, Shizuka ? Dit Nasuko. Tu pourrais rencontrer ma fille et passer un peu de temps avec nous. Ce n’est pas une bonne idée de s’isoler dans ces moments…

Shizuka fut surprise de sa proposition et la considéra un instant. Elle était fatiguée, trempée… elle devrait surement retourner chez elle pour aller dormir. Pourtant, elle n’avait pas envie de rester seule. Ce serait l’occasion pour elle de se changer les idées et de prendre de nouveaux repères dans Konoha, qu’elle avait perdus en même temps que sa mère.

-C’est très gentil, merci. Répondit-elle. Avec plaisir.

Elle pris un instant pour dire aurevoir à sa mère une dernière fois, puis emboîta le pas à Nasuko qui s’éloignait déjà.

FIN