This world is so cold...

Une pourriture...

Ton corps... amas difforme de déchet de toute une vie... Sculptée dans sa laideur, synonyme d'une âme esseulée et vide de tout sens...

On te rejette, on te craint... on t'admire, on te plaint...

Ta vision est souvent accompagnée d'un florilège d'émotion, escorté par un jugement hâtif sur ta personne. Tu ne cris pas à la folie, tu t'es faite à cette idée, que ta monstruosité est permanente et que tu ne peux pas te détacher de cette maladie qui te ronge l'existence...

Quand un fou vient à te fixer dans le regard, il contemple alors le reflet d'une réalité sordide. Des cheveux en bataille, tu les néglige autant que le reste, pourtant d'un noir profond, s'ils avaient appartenu à une autre personne que toi, peut-être alors seraient-ils ravissants. Ton visage est sculpté, trop bien sculpté pour appartenir à une femme. Supprimant l'élégance et la grâce, il laisse place à une émotion monochrome d'une sévérité inégalable. Rien n'est laissé au hasard, chaque bout de chaire s'est vue marquer par les fléaux d'un monde inconcevable...

Et ton regard... Lui aussi bien particulier. Borgne, ton unique œil n'en laisse pas moins indifférent... Tu ne regrettes plus depuis bien longtemps la perte de ton œil droit à la pupille dorée comme le soleil... Non tu ne le pleures même plus... Caché par un vulgaire cache misère, en y faisant attention on retrouve encore les quelques marques d'une brutalité inavouable autour de celui-ci. C'est un souvenir de souffrance que tu arbores contre ton grès, mais c'est aussi un rappel. Un rappel que celle qu'on surnomme l'Engeance du Démon s'est sauvée de bien pire que l'enfer...

Enfin... S'il n'y avait que ça sur ton faciès miséreux... Tes lèvres sont sèches... Elles n'expriment aucunement la volupté habituelle propre à la gente féminine. La beauté de la femme ne t'a pas frappé, te donnant alors pas défaut l'image d'un guerrier...

Mais à la fin...

A la fin...

Lorsqu'on tente de se soutirer de l'aperçu grossier de ton visage, on ne peut que se réfugier sur ce corps tout aussi semblable... Plus taillé encore que celui d'un homme... Il est ta corde de survie, ton ultime lien qui te rattache encore au monde présent. Alors tu l'as entretenu autant que tu pouvais... Pas de la meilleur des manières...

Nue... Tu n'es qu'un vulgaire patchwork de chair... La peau recouvrant tes muscles saillants se retrouve tantôt déchirée par là, calcinée par ci... Tu es la femme de mille et une blessure... Toute ta chaire n'est que la retranscription d'une vie passée à combattre, à servir les intérêts d'autrui pour subvenir à ses propres besoins. Il n'est que l'apologie d'une souffrance que depuis bien longtemps tu ne relèves plus. Tu es au dessus des dessins funestes qui se propagent sur cette peau abimée...

Tantôt, l'on peut même remarquer plusieurs cicatrices signes de fermeture de plaies béantes orchestrées dans ton passé. Pour la plupart des hommes, elles auraient été fatales, l'ultime blessure d'une vie bien trop tumultueuse. Et pourtant, tu te tends encore là, avec toute la fierté dont tu peux faire preuve. Comme rejetée par la mort ou bien aimée par celle-ci.

Néanmoins, cohabite avec tes blessures un tatouage, représentation d'une allégeance révolue pour un groupe de mercenaire qui autrefois te permettait de vivre. Désormais, ce n'est qu'un énième élément qui retrace ta vie. Après tout, quiconque regardant ton corps n'aurait plus besoin qu'on lui conte ton histoire afin de la connaitre.

Habillée, tu n'es guère plus présentable. Tu arbores davantage des vêtements confortables, permettant d'exercer ton art plutôt que ces fioritures que portent les dames de ce monde. Tu n'es pas dépourvue de féminité pour autant, tu as déjà tenté d'en porter, sans grand succès. Cela s'harmonisant avec toi autant qu'une tâche au milieu d'un draps blanc pur... Tu ne peux donc que te contenter de t'habiller vulgairement. Allant au plus simple possible et en espérant que ton prochain affrontement ne te force pas à en racheter...

Après tout, malgré ta réputation démoniaque, tu n'en restes pas moins un être doté d'une certaine conscience... Tu as tenté de retranscrire dans ton apparence ta volonté de vivre plus que de survivre...

En vain...

Alors on continuera à te craindre, à se méfier de ce nuage sinistre qui plane au dessus de toi. Ce même nuage typique de ceux qui ont tué plus que le bien fondé commun. Et si tu as le malheur d'interpeller un être, celui-ci se verrait confronter à ta voix aussi puissante et brutale qu'un mur de pierre. Elle non plus, ne fait pas partie de ce que tu as tenté d'apprivoiser pour mieux vivre ta vie...

Trop occupée à veiller  derrière toi pour ne pas te retrouver avec un couteau dans le dos...

Le vice...

Le pêché est en toi, contre ton grès... Et pourtant tu le peaufines, l'entretiens aussi longtemps que tu le peux... Avide de sensation, tes pensées décousues ne sont que le résultat d'une vie bercée par la chaleur de l'enfer...

Vivre ou mourir... Choix cornélien, qui pourtant n'a jamais été sujet aux doutes chez toi. Tu survis telle une bête hargneuse. Boiteuse, tu continuerais à fouler la terre d'un pas après l'autre. Aliénée, tu continuerais à fixer cet horizon que tu cherches à atteindre depuis le début de tes jours.

Endiguée par les chaines de ton destin, tu luttes pour forger ton existence au grès des flots. Tu as été bousculée de toute part et pourtant, tu as cette envie irrépressible de continuer à vivre. Quelque chose en toi t’indique que si tu meurs, tu cesseras alors tout bonnement d'exister. Plus rien ne restera de toi, pas même des actions, une réputation ou des maigres souvenirs. Un néant que tu te refuses à regarder en face.

Alors si tu dois arracher la vie aux autres, tu le fais, sans même sourciller. C'est à eux de se donner les moyens de préserver la leur. L'héritage démoniaque que tu es ne ressens aucune culpabilité à faire souffrir les autres pour son propre bien. Tu n'en ressens pas non plus la joie, tu n'es juste pas marquée par le sang d'autrui. Étanche à cette rancœur qui frappe pourtant n'importe quel être humain, tu es davantage semblable au monde animal. Tuer pour vivre... Si tu dois le faire... tu le fais...

Et c'est ce que le monde apprécie chez toi. C'est même l'unique manière pour que quelqu'un puisse t'accorder ses faveurs. Tu es taillée pour être une arme, tant que l'on t'aiguise et que l'on t'entretient, tu feras couler dans une mare de sang, les cibles que l'on te désignera. Incapable de t'adonner à l'ambition, tu ne ressens pas l'appel du pouvoir ou de la gloire. Tu es d'une nature primaire, simple et complexe à assimiler pour ceux qui se désignent bien pensant de ce monde.

Mais tu n'es pas animée d'un sentiment unique. Bien que l'effroi et la violence sont tes deux maitres, tu éprouves d'autres besoins. Un besoin parfois viscérale de socialiser, de t'attacher à une chose que tu te saurais incapable de déchirer.

Maladroite, tu te coltines souvent à la mauvaise personne. On abuse souvent de ta crédulité bestiale, mais tu rechignes rarement. Tu assouvis simplement une envie des plus naturelle. Par ailleurs, de cette simplicité de mise en œuvre, la folie et tout autre démence ne semblent pas avoir d'impact sur toi. Tu es un mécanisme bien huilé, qui ne sortirais pour rien au monde de son rail d'usinage. Ton esprit comparable à un matériaux grossier et difforme, il est pourtant d'une solidité exemplaire et d'une grande souplesse.

On ne brise pas quelqu'un avec une si forte volonté de vivre que toi.

On t'a torturé bien entendu, pour te faire cracher le morceau. Mais la douleur est une vielle amie, dont tu apprécies parfois ses visites. Tu sais qu'elle t'est souvent généreuse, qu'elle n'est que porteuse de bon conseil. Elle ne t'a jamais été d'une quelconque trahison. Après tout, elle n'est là que pour te rappeler tes tords. Que quelque part, tu as laissé ton existence entre les mains d'un destin malencontreux. Depuis bien longtemps, tu ne flanches pour sous ses assauts répétés. Tel un soldat invincible, la souffrance n'est qu'une barrière sur ton chemin, que tu as aussi tôt fait d'enjamber.

Et de cela, tout le monde aimerait te posséder. Mettre la main sur toi. Le parfait outil dans un monde qui demande toujours plus d'arme pour faire la guerre. Mais, quand tu n'es pas sur un champ de bataille, tu es bien souvent dans des lieux mal fréquentés.

Car là est toute l'ironie de ton existence. Tu n'es pas que ténèbres, tu ne considères même pas comme une personne aux allures sombres. Néanmoins, lorsque tu peux prendre ta vie en main et dormir sur tes deux oreilles, tu gaspilles ton existence. Tu es tel un enfant auquel on donne un jouet sans sa notice d'emploi.

Alors tu bois, tu te bats avec de pauvres individus. Tu consumes ton existence aussi vite que tu vides de son contenue cette misérable bouteille d'alcool. Toi, qui fait partie de cette catégorie d'individu qui ont bu toutes les liqueurs que la vie avait à offrir. Tu voulais vivre, et lorsque tu le peux, tu es perdue, déboussolée, et tu te vautres dans une médiocrité absolue.

Par ailleurs, ton langage ne relève pas le niveau. Tu n'as pas été éduquée avec les bonnes manières adéquates. Tes paroles sont grossières, la plupart apprissent de la bouche d'un vieux briscard ayant lui aussi combattu de son temps où il n'était pas qu'un vulgaire impuissant. On te juge pour cela, on te méprise même. Tu n'es pas comme les autres, tu ne te comportes pas comme la norme adéquate. Pour toi, la vie est un lieu bien plus impitoyable qu'un champ de bataille. Et tu ne sais pas dans lequel de ces deux mondes tu as véritablement envie de t'épanouir.

Tu as passé trois décennies à exister, et tu es toujours en attente de la révélation. De cette lueur qui te guidera vers un autre quotidien. Tu veux que de cette carrure de démon sorte de toi un avenir plus radieux. Mais, dans tout ton malheur, tu n'as jamais défini ce qu'était pour toi la signification d'un avenir radieux. Tu n'es qu'une âme perdue, errante qui n'est pas destinée à recevoir de la main de dieu sa bénédiction.

Car après tout, tu es l'Engeance d'un Démon.

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